Vive la guerre ou l’imposture de Christophe Barbier

par Luc-Laurent Salvador
samedi 7 mai 2011

Une critique de l’appel à la guerre en Lybie que Christophe Barbier nous assène dans un éditorial de l'Express intitulé « De sable et de sang ».

Nigel Farage, député européen britannique a dit du président de l’Europe qu’il avait le charisme d’une serpillère humide. Je ne suis pas sûr que Christophe Barbier, rédacteur en chef de L’Express en ait beaucoup plus tant sa communication non verbale (mimiques, gestuelle) sonne faux [1], mais ce dont je suis sûr, c’est que ce personnage falot est dans l’imposture la plus complète.

En effet, dans son édito de l’Express du 20 avril, il joue non au héraut d’armes mais au chef de guerre et nous vante le bien-fondé de la guerre de Lybie comme, trois ans auparavant, il proclamait dans une des ses vidéos quotidiennes que la France devait continuer à faire la guerre en Afghanistan. Cette vidéo déjà donnait « la nausée » de part le décalage entre, d’une part, ce à quoi engageait son propos martial (à savoir, les violences et infinies souffrances des combattants comme des populations) et, d’autre part, sa figure de journaliste aux mimiques et pantomimes empruntées. En lisant son édito, je dirais, pour imiter Desproges, que j’ai eu le sentiment d’avoir « les mains sales ».

Car Barbier n’est ni un politique, ni un philosophe. Il est un homme de presse censé nous donner de l’information, de la belle, de la bonne [2] et pas de la propagande guerrière maison. C’est pourtant ce qu’il fait dans cet édito dont je voudrais tenter d’analyser la rhétorique car je vois une forme de devoir citoyen à faire ce que je peux pour que lui et ses semblables comprennent qu’ils doivent rester à leur place, c’est-à-dire, se tenir à la neutralité et l’objectivité de l’information à laquelle ils prétendent.

Nous avons déjà des politiciens assez foireux (songeons à Juppé qui nous annonce une intervention en Lybie de « tout au plus quelques jours… »), il ne manquerait plus que les journalistes se mêlent de gouverner.

Pour en revenir à la rhétorique de Christophe Barbier, je dois reconnaître que, bien qu’assez médiocre au final, elle ne manque pas de force, c’est pourquoi il importe de l’analyser.

Son efficace tient d’abord au fait qu’il affirme d’entrée de jeu que la guerre est une abomination et que toute affirmation contraire est un mensonge :

« Toute guerre est sale. Il n’en est aucune dans l’Histoire qui soit un chemin de gloire, à moins d’être passée sous le pinceau, dégoulinant de mensonge, de la propagande »

Quoi de mieux pour susciter d’emblée et à coup sûr l’assentiment du lecteur qui sait bien tout cela et ne peut que se féliciter de le voir écrit noir sur blanc ?

Barbier renforce encore l’adhésion en précisant qu’« il n’y a pas de guerre « chirurgicale », parce qu’on n’anesthésie pas ceux sur qui on tire » et il propose alors l’image forte et profonde dont il a fait le titre de son édito : « Le sable et le sang font de la boue, et la boue, en séchant au soleil de la politique, fait de l’Histoire »

Pour ne pas laisser le lecteur aveuglé et égaré par ce fulgurant éclair sur la nature fondamentalement violente de l’Histoire des hommes, il enfonce le clou : « chaque fois qu’un blindé est flambé par un missile, il y a de pauvres hères carbonisés à l’intérieur… et ce n’est pas parce qu’ils sont d’évidence « méchants », où (sic) les stipendiés d’un tyran, qu’ils ne sont plus des êtres humains ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces propos enthousiasmants de lucidité auguraient plutôt bien de la suite.

Malheureusement, il s’agissait là précisément de l’effet visé par une rhétorique très classique puisque cherchant à amener le consentement final du lecteur par une série de petits consentements prédisposant à l’adhésion.

En effet, quoi de plus suggestif que de déclamer tout le souci qu’on a de la paix pour ensuite affirmer la nécessité de la guerre ? Comme le soulignait la cinéaste Leni Riefensthal pour se défendre d’avoir accompagné l’ascension de Hitler, ce dernier parlait avant tout de paix dans ses discours !

Ainsi, tel ce récent Nobel de la paix qui envoie l’armée U.S. intervenir aux quatre coins du monde au mépris des lois internationales, le Barbier-critique-des-guerres vient cueillir le lecteur — qui a baissé la garde et qui, mesmérisé par son sage propos s’est disposé à le suivre — en assénant cette phrase courte et sèche : « certaines guerres sont nécessaires ».

Le coup est alors presque imparable car, quelles que soient les prévenances que l’on peut avoir vis-à-vis de la guerre, à moins d’être un saint, chacun à en soi une foultitude de prédispositions à y consentir, ne serait-ce que la fameuse « légitime défense ».

De fait, c’est bien la corde sensible de la sécurité que Barbier fait résonner, mais juste ce qu’il faut, pour pointer bien vite un au-delà de la guerre de conquête (de territoires et de pétrole) et nous amener sur le terrain des révolutions arabes actuelles, dans le contexte desquelles Kadhafi fait incontestablement tache.

C’est d’ailleurs peut-être parce que ce dernier ferait si facilement l’unanimité contre lui que Barbier, emporté par son hybris, croit pouvoir se lâcher et révèle sa bouffonerie comme l’inconsistence de sa position. Il n’a, en effet, pour tout argumentaire que l’idée que Kadhafi serait un « satrape paranoïaque » qui « s’accroche à son trône  », un « Ubu paradant », un « Néron pétaradant ». Comme on peut lire dans le Talmud : « Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes ». Autrement dit : « quelle belle projection ! »

Tout à son illusion, croyant pouvoir jouer sur le velours d’un consensus anti-Kadhafi, Barbier nous invite froidement à nous risquer à la violence, à une (nécessairement sale) guerre civile dont, nous dit-il, il nous faudra patiemment attendre une issue favorable tout en armant des insurgés dont on ne sait pas ce qu’ils feront demain.

Vaste et beau programme dont le chef de guerre Barbier pense qu’il serait tout à l’honneur de la France qu’elle l’appliquât et tout à son déshonneur qu’elle se défilât.

Pour mieux mobiliser les troupes, il pique au vif en ajoutant la petite manip à la grande, le mensonge à l’ignominie. Pensant peut-être susciter les vocations, il affirme en effet qu’il n’y a plus en France de héros mais qu’à la fin, à bon entendeur salut, on saura qui est resté planqué et qui a pris ses responsabilités.

Le sommet du mensonge se trouvant dans cette idée qu’« on ne distingue pas toujours les vainqueurs des vaincus », idée qu’il nous livre sans doute par crainte que l’on ait encore en tête, pauvres veaux que nous sommes, la triste guerre d’Afghanistan où, après les Russes, l’Occident se casse les dents en pure perte depuis bientôt dix ans sans même savoir pourquoi il le fait.

Voilà donc le tableau lamentable offert par l’imposteur Barbier. Imposteur au sens où les journalistes étant supposés être seulement des « messagers », des porteurs de « nouvelles », ils devraient, selon Michel Serres, être comme des anges, c’est-à-dire, transparents.

Or, c’est rien de dire que Christophe Barbier n’est pas transparent et qu’au contraire il fait ce qu’il peut pour se poser là, pour nous faire passer son propre message (vu que, encore une fois, je ne le sais pas lié à quelque marchand de canon ou à quelque banque auprès de qui l’Etat français aurait à financer sa dispendieuse guerre libyenne, mais qui sait ?) ou, plus exactement, ce message mensonger par excellence qui, depuis la nuit des temps, a amené les hommes à s’entretuer pour la bonne cause : défense, sécurité, honneur, sacrifice, etc. 

Il est déjà affligeant que les autorités nous servent encore et avec toujours le même succès ce genre de discours. Il est consternant et pour tout dire affolant que Barbier se l’approprie pour jouer au chef de guerre. L’imposture est totale et d’autant plus choquante qu’elle est amenée de manière perverse, luciférienne, en pleine lucidité sur le mal qu’on voudrait nous amener à choisir.

Comment ne pas penser ici à Pascal et à son « Qui fait l’ange fait la bête » ?

Voilà, j’ai fini. J’ai toujours la nausée et j’espère bien que vous l’avez aussi.



[1] Pour en apprendre davantage sur le charisme des hommes politiques, suivez le psychologue René Zayan qui fait un remarquable travail sous ce rapport.

[2] « Fume, c’est du belge », pourrait dire le Roularta Media Group, propriétaire belge de l’Express qui, à ma connaissance, n’est pas lié à un marchand de canon, mais qui sait vraiment ?


Lire l'article complet, et les commentaires