« Vivre ensemble » dans le « multiculturalisme » dîtes-vous ?

par La centrale à idées
jeudi 5 janvier 2017

 

Depuis quelques décennies déjà, nous autres citoyens d'une République « une et indivisible », avons été sommés de « vivre ensemble » dans une société « multiculturelle ».

 

Avant d'émettre quelque jugement de valeur que ce soit, bon est de rappeler que dans les faits, ce projet de société – fondé sur les deux « impératifs catégoriques » mentionnés ci-dessus – a été imposé de façon non-démocratique par nos élites.

 

Que les intentions de ces dernières (nos élites) aient été « bonnes » ou « mauvaises » et/ou que la population française, dans son ensemble, ait fini par s'y plier (sinon à y adhérer), là n'est pas la question : à aucun moment de son histoire récente, le peuple français n'a été consulté sur ce qui devait inévitablement provoquer un choc social et culturel sans précédent, aux effets irréversibles. Aucun référendum n'a par exemple été organisé avant l'instauration du Regroupement familial (1976), avec lequel nous sommes rapidement et définitivement passés d'une immigration de « travail » - qui s'était développée dans le contexte de la « reconstruction » d'après-guerre – à une immigration dite de « peuplement », massive et incontrôlée, prélude à la mise en place de la société « multiculturelle ».

 

L'un de mes collaborateurs de la Centrale à idées avait déjà appréhendé la question en juin dernier dans un article intitulé : « Du multiculturalisme en République »1. Il avait notamment inscrit son propos dans une perspective plus large, en touchant à des problématiques telles que « la primauté de la culture d'accueil », ou le principe de l'assimilation républicaine. Ma réflexion se veut donc complémentaire, en mettant l'accent sur les aspects philosophiques et pratiques des choses. Enfin, comme l'avait déjà fait mon camarade, j'interpellerai à mon tour mes « frères de sort », en les invitant cette fois-ci à faire un choix.

 

 

« Multiculturalisme », « vivre-ensemble » : Si les mots ont encore un sens...

 

Du point de vue de la sémantique, le terme « multiculturalisme » désigne la coexistence de différentes cultures (ethniques, religieuses, etc.) au sein d'un même ensemble (pays par exemple).

 

Il est donc ici question de « culture », dont on peut donner la définition suivante : l'ensemble des connaissances, des savoirs-faire, des traditions, des coutumes, propres à un groupe humain, à une civilisation. Elle se transmet socialement, de génération en génération et conditionne en grande partie les comportements individuels.

 

Toutefois, pour qu'une culture puisse garder sa spécificité et durer dans le temps, celle-ci doit nécessairement maintenir une certaine distance (qui peut prendre différentes formes) avec les autres cultures. Prenons un exemple concret pour bien nous représenter les choses : le projet « multiculturaliste » en France, y a par exemple permis l'établissement relativement répandu de restaurants asiatiques, au grand bonheur des tenants du « vivre-ensemble », qui en sont généralement friands. Or, pour que cette cuisine puisse être proposée aujourd'hui dans notre pays, il va de soi que des cultures chinoise, vietnamienne ou encore thaïlandaise, aient dû exister. Toutefois, celles-ci auraient-elles pu se développer efficacement, si elles n'avaient pas choisi de se protéger derrière des frontières et autres barrières symboliques à un moment de leur histoire ? Cela a beaucoup à voir avec un « écosystème », ce que l'essayiste Hervé Juvin a brillamment explicité dans un ouvrage au titre évocateur : La Grande séparation. Pour une écologie des civilisations2.

 

Dans une société « multiculturelle » comme la France, ces barrières symboliques protectrices existent, la première s'appelle « le droit à la différence », martelé par les mêmes idéologues. Mais le paradoxe veut que tous y aient droit (arabo-musulmans, noirs, asiatiques, etc.) sauf le Français de « souche » autochtone, coupable d'être majoritaire dans son propre pays.

 

 

 

Venons-en maintenant au fameux « vivre ensemble », ce concept systématiquement associé au « multiculturalisme ».

 

Au-delà d'une coexistence, ce principe suppose une certaine dose d'échange et d'ouverture à l'Autre, sans lesquelles nous ne serions que dans un « vivre côte-à-côte ». Ainsi, dans une société multiculturelle, le meilleur indicateur d'un « vivre-ensemble » bien compris, serait donc l’existence de métissages : l'union féconde entre hommes et femmes d'origine ethnique différentes, ce que les mêmes tenants de l'idéologie multiculturelle ne contesteront pas et appelleront généralement de leurs vœux. Or dans cette acception, ne faut-il pas, au préalable, que tout le monde accepte de jouer le jeu, sur les bases d'un certain libéralisme sociétal notamment, en acceptant (inconditionnellement) le principe d'exogamie ? Et pour que le « vivre ensemble » puisse véritablement s'envisager, ne faut-il pas, en dernière instance, que nous ayons quelque-chose en commun pour pouvoir continuer « à faire société » ? Peut-être à l'aide d'une et même culture de référence ? En effet « le métissage pour le métissage » comme seule fin, ne peut avoir comme conséquence, que la destruction pure et simple de toutes les cultures (donc du multiculturalisme !).

 

Il y a donc une contradiction profonde entre l'idéal d'un « vivre ensemble » universaliste et métisseur d'un côté, et un multiculturalisme fondé sur le « droit à la différence » (donc intrinsèquement différentialiste) de l'autre.

 

 

 

A l'échelle d'un pays comme la France, submergé par une immigration massive, le multiculturalisme devient donc, inévitablement, la matrice du communautarisme. Comme le disait fort justement le général De Gaulle « on n'assimile des individus, pas des peuples », et ces peuples, conscients de leur spécificité culturelle, n'ont tout simplement pas d'autres choix que le repli communautaire pour préserver leur identité. Et malgré le principe constitutionnel d'une « république une et indivisible », qui ne reconnaît pas d'autres communautés que la seule « communauté nationale », ce séparatisme est aujourd'hui une réalité. Nombreux, il faut l'admettre, sont les groupes communautaires qui refusent et qui refuseront toujours de « vivre avec ». Le communautarisme est, d'une certaine manière, un « individualisme à plusieurs ». Ceci est vrai – comme l'a très bien démontré le géographe Christophe Guilluy3 – y compris pour les chantres du « vivre-ensemble » eux-mêmes, à travers des stratégies bien connues (triche à la carte scolaire, copropriétés « blanches »). Au fond, personne n'a envie d'être « minoritaire »...

 

 

Parlons-nous (encore) et tranchons pour de bon

 

Français de « souche » ou d'origine étrangère, jeunes et moins jeunes, vous suivez et commentez peu l'actualité, que vous trouvez peut-être, à raison, trop anxiogène. Vous vous définissez comme des individus peu politisés (voire apolitiques) et peu concernés par la « chose publique », à l'exception peut-être des seules élections présidentielles, où vous pouvez encore avoir l'impression d'être des « citoyens ». Vous avez le sentiment que quelque-chose ne tourne pas rond et que notre société va mal, mais devant la trop grande complexité des choses sans doute, une certaine humilité vous fait préférer l'apathie à la révolte. Vous vous considérez généralement comme des gens tolérants, ouverts au dialogue et non-violents, ce que vous et moi avons en commun. Il y a néanmoins une ligne rouge qui ne doit jamais être franchie avec vous : la critique – même construite et mesurée – du « vivre ensemble » dans une société multiculturelle, véritable tabou. Peut-être, par peur du jugement moral, n'avez-vous jamais creusé la question comme je l'ai fait. Ou bien – sans en avoir été directement les instigateurs – y croyez-vous encore sincèrement, par idéalisme plus que par « bons sentiments ». Toujours est-il qu'en « sanctuarisant » la question comme vous le faites, vous participez, malgré vous, à la fuite en avant dans laquelle nous entraînent ceux qui en ont fait carrière ; et, de fait, vous alimentez un ressentiment destructeur, aussi bien parmi les Français dits « de souche » que les Français d'ascendance étrangère assimilés - dont je fais partie.

 

Néanmoins, vous restez mes « frères de sort » car, au bout du compte, nous sommes dans la même « galère » vous et moi. Surtout quand à l'idéal d'un « vivre ensemble », se substitue l'effrayante possibilité d'une « guerre civile » (multiculturelle celle-là aussi hélas). Nous devons donc rapidement nous entendre sur une redéfinition du pacte social.

 

Mais avant toute chose, je vous demanderais de bien vouloir accepter – de bonne foi – le diagnostic. Il ne s'agit pas ici de savoir si le « vivre-ensemble » dans le « multiculturalisme » est « bon » ou « mauvais » en soi. La politique et la morale sont deux choses différentes, la question qui doit être posée ici est la suivante : Est-ce que cela fonctionne et est-ce que cela va dans le sens de l'intérêt général ? Or le bon sens et la réalité suffisent à démontrer que ce projet n'est pas réaliste et que sa poursuite coûte que coûte, constituerait une fuite en avant dangereuse et irresponsable. Vous devez donc avoir le courage de regarder la réalité en face et de prendre vos responsabilités. Au fond, vous qui ne cherchez pas à « être élu » et qui ne cherchez pas à « vendre quelque-chose » qu'auriez-vous véritablement à perdre en acceptant de vous remettre en question ? 

 

  • Vous pourriez choisir d'assumer jusqu'au bout votre apathie et votre apolitisme au quotidien, ce serait votre droit et je le respecterai. Après tout, la démocratie libérale dans laquelle nous vivons le permet. A la condition toutefois d'accepter le pluralisme des idées (y compris celles qui ne vont pas dans le sens de l'idéal « multiculturaliste ») et de s'interdire de donner des « leçons de morale » à ceux qui, nombreux comme moi,continueront de prendre part aux activités de la Cité, pour y décider collectivement de leur destin. 

 

En revanche, si vous préférez continuer « à faire l'Histoire » à nos côtés, deux possibilités s'offrent à vous, la démocratie (à travers un référendum) s'occupera ensuite de trancher :

 

  • Vous choisissez de défendre jusqu'au bout le multiculturalisme, et par extension le communautarisme, qui comme nous l'avons démontré, lui est inhérent. Vous devrez alors renoncer au principe de « vivre ensemble » et lui préférer celui du « vivre côte-à-côte » à l'anglo-saxonne. Notre Constitution devra par conséquent être modifiée : la République ne sera plus « une et indivisible » et des communautés pourront officiellement être reconnues sur notre territoire. Et bien sûr, vous devrez accepter, par principe, que la communauté autochtone (« les Français d'après la France » ?) puisse elle aussi se « communautariser », au nom du « droit à la différence ». 

     

  • Vous préférez défendre le principe universaliste de « vivre ensemble » contre le communautarisme et son « vivre côte-à-côte ». Dans ce cas, vous devez admettre que le meilleur (sinon le seul) système qui s'offre à nous pour pouvoir véritablement « vivre ensemble », ne peut être qu'une République authentique et son principe d'assimilation à la culture autochtone majoritaire. Comme l'a très bien dit Henri Guaino : « La démocratie s'accommode du communautarisme, des phénomènes sectaires. La République non. ». Cela suppose aussi, vous vous en doutez, que l'immigration soit régulée pour faciliter le processus d'assimilation à une culture française de référence qu'il faudra promouvoir. 

     

2Hervé Juvin, La Grande séparation. Pour une écologie des civilisations, Gallimard, 2013

3Christophe Guilluy, Fractures françaises, François Bourin Éditeur, 2010


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