« Vivre » , le film : « All you need is love ! »
par velosolex
lundi 16 janvier 2023
C’est dans l’épreuve, et non dans la facilité des jours, qu’on se révèle à soi même et aux autres. Que l’échéance de la mort se rapproche, et certains n’échappent pas à un examen de conscience. Alors certaines choses qu’on pensait intangibles apparaissent vaines. D’autres valeurs qu’on pensait futiles peuvent alors s’imposer à la conscience, et à l’action, et changer le cours des jours qu’il nous reste !
« Vivre » film Britannique sorti en Décembre, et qui rencontre un beau sucés d’estime, fait partie de ces œuvres qui nous interrogent sur le sens de notre vie.
Il semble que Kazuo Ishiguro, le prix Nobel de littérature, était prédestiné à adapter à notre époque, le scénario de « Vivre », 70 ans après que le film original soit sortit au Japon, avant de devenir un succès mondial. Clin d'oeil à l'original, le choix a été fait de placer l'intrigue du film dans le décor du Londres de 1953, la même année de la sortie du film de Kurosawa.
Les années d'après guerre sont riches de chefs d'oeuvre. Et le cinéma de Kurosawa eut la même importance dans l'éducation des foules, et leur éveil à une certaine forme d'esthétisme, de sensibilité au monde, que les films du neo réalisme Italien. Du "voleur de bicyclette" de De Sica, de "La strada" de Fellini, ou encore de "Stromboli"de Rosselini, Chacun possède son "rosebud" cinématographique.
« Vivre », du film original, ou de son remake, fait écho à bien des histoires de résilience, mais raisonne étrangement avec une nouvelle écrite par Charles Dickens.
« Un chant de Noël » se passe aussi à Londres, mais en 1840. Une ville surpeuplée, et industrielle, où la pauvreté et l’exploitation sont récurrentes. Par un soir de Noël, le vieux Scrooge, qui servira de modèle à Walt Disney, pour son personnage d’"oncle Picsou", rentre chez lui. Ce patron, riche et avare, acariatre, méprisant son personnel, n’entretient autour de lui, que de l’animosité et des moqueries.
Scrooge fera trois voyages, en compagnie de trois esprits ; d'abord dans le passé, puis dans le présent, avant de se confronter à ce qu'il lui reste d'avenir. Il parcourera la campagne, les villes, survolera l'océan, comme sur les ailes d’un ange, explorant les temps et les espaces mouvants, comme des mondes existant en parallèle du notre.
A moins que ce scénario à tiroirs ait aidé Sigmund Freud à jeter les bases de la psychanalyse, en ramenant la mémoire enfouie de l’enfance, comme élément fondamental de notre personnalité, et de nos névroses.
On remarquera tout autant la modernité du personnage de Scrooge, qui illustre la doctrine de existentialisme émise par Jean Paul Sartre. Scrooge n’est pas déterminé d’avance par son essence, mais est libre et responsable de son existence. C’est la traduction des paroles du spectre, qui le prévient que son avenir n’est pas encore écrit, mais dépend des actions qu'il fera.
Il va douloureusement parcourir ce fil d’Ariane, qui va de la naissance jusqu’à notre mort future.
Parfois la douleur de la confrontation est si éprouvante que Scrooge veut détourner les yeux, mais l’esprit l’oblige à regarder la vérité en face.
Dans ces causes à effets, lors du dernier voyage, il finit par se voir à l’état de cadavre, allongé sur ce grabat de misère que personne ne veille ! Voilà ce qui l’attend, s’il ne change rien à sa vie présente, le prévient l’esprit….
Nous avons là le canevas émotionnel du film « Vivre », version 2022.
Le cinéaste sud-Africain Oliver Hermanus est à l’unisson du scénariste ; Kazuo Ishiguro, d'un roman à l'autre, a toujours été attiré par ce genre d’histoire. La remise en question des valeurs et des idées est concomitant à son univers, ainsi que les thèmes de la culpabilité, et du regret. Le souci de l’introspection narrative se complète souvent de celui de celui de transfigurer le réel, pour le mettre en accord avec la grande force émotionnelle qui traverse ses récits.
Dès les premières images, ces travellings, et ces plans nous livrant sous différents angles le Londres de 1953, on reste scotché, tant la perfection de la narration des images est présente. Une qualité propre au cinéma Anglais, si étonnant quand il s’attaque aux reconstitutions historiques.
La jeune génération, qui n’a pas connu les administrations croulantes sous des monticules de dossiers et de bureaux annexes, sera surprise de voir cette plongée dans ce monde de paperasserie et de rapports kafkaïens, de façon quasi ethnographique.
Le Londres de 1953, dont les cicatrices de la guerre sont toujours présentes, est bien loin de celui de Charles Dickens. L’un est au début de l’impérialisme Anglais, et l’autre se situe à sa fin. Pourtant le monde victorien prude, les rapports de classe, sont toujours présents en 1953. Le film représente bien tous ces stéréotypes de la société Anglaise, encore très corsetée, tenant jalousement à ses règles, à une façon de vivre qui semble immuable, et sans doute rassurante, dix ans à peine après la guerre. Peut être est ce grâce à cet esprit qu’ils l’ont gagné ?
La photographie célèbre où l’on voit les habitués d’une bibliothèque bombardée, à Londres, pendant le blitzkrieg, symbolise on ne peut mieux, ce fameux flegme Britannique.
L’empire a beau avoir disparu, il leur reste encore la famille royale, les chromes sur la porte des maisons, tout cet art de l’étiquette, ces gentlemen en costume, et chapeau melon, gagnant la cité, pendant que le carillon de « Big ben » égraine les heures. Mais n’est-ce pas parfois un déguisement, une façon de se rassurer sur l’éternité des choses ?
Mr Williams, la soixantaine bien sonnée , chef de bureau craint et respecté au sein de la mairie, élégant comme un lord, n’est pourtant qu’un rouage impuissant dans le système administratif de la ville qui doit se reconstruire.
Il mène une vie morne et sans intérêt, en compagnie de son fils et de sa bru, dans une maison de la banlieue Londonienne.
C’est à un groupe de cinq employés, subalternes de Mr Williams, assis ensemble dans un compartiment, que la première scène du film s’intéresse. Ils parlent de leur chef de bureau, avant même qu’on ne le voit, comme une sorte de dieu omnipotent.
Seule cette Miss Harris, avec son ironie et sa jeunesse parvient à faire craqueler les attitudes figées et les maroquins de cuir de ses collègues. Reste ces sous entendus et ces non dits, dans cette dynamique très particulière qu’ont les Anglais de communiquer entre eux, et qu’on lie souvent à tort à l’hypocrisie, mais dont le tact laisse à chacun le choix de l’interprétation.
Certains tirent grande satisfaction du pouvoir qu'ils ont sur les autres employés. Ou sur les préposés venant demander humblement qu’on instruise leur dossier, dans le domaine des « travaux publics ».
Le pouvoir de Mr Williams est omnipotent sur l’ouverture ou l’enterrement des affaires en instruction, qu’il traite parfois avec mépris, les remettant sous la pile, pour ne pas dire à la corbeille.
Comme ce projet d’implantation d’une aire de jeux, pour les enfants d’un quartier déshérité, porté par une poignée de militantes infatigables, mais qu’on promène d’un étage de l’administration à l’autre !
Cette fin programmée est pour lui un véritable électrochoc, un catharsis.. Pendant quelques jours, ses collègues ne le voient plus au bureau. On s’interroge quant à cette disparition. Il sait qu’il ne lui reste que quelques mois pour se réconcilier avec lui même, et se mettre en rapport avec une nouvelle éthique. Comment rattraper tout cela ?
Comme Scrooge, l'enfance de monsieur Williams lui revient lui aussi en boomerang. L’esprit du passé semble l’interroger sur ce qu’il est devenu. Les larmes lui sont montés aux yeux, et l’ont obligé à s’interrompre, quand, dans un pub, il s’est mis à chanter une vieille chanson sortie de son enfance Écossaise.
Il est illusoire de chercher la consolation dans la bière, les rencontres d’un soir, ou dans la joie artificielle des fêtes foraines. Il lui faut affronter celui qu'il est, surtout celui qu'il est devenu. il reprend la vie de bureau.
Le dossier sur l’aire de jeux est toujours sous la pile. La procrastination de l’administration, n’a pas découragé les militantes de lutter pour cette cause, qui va devenir finalement aussi la sienne … Il ne s'agit pas du projet d’un pont, encore moins de la statue d’un homme célèbre. Celui d’un espace de jeux pour les enfants est autrement précieux. Comment ce projet à t’il pu lui apparaître si ridicule ? Il va l'investir des forces qu'il lui reste. Et la mémoire des lieux sera habitée par sa présence !
C’est peut être aussi la façon de se remettre dans l’empreinte du gamin qu’il fut, à la recherche maintenant de son « Rosebud ».
Ce « Bouton de rose », est le mystère qui parcourt le chef d’œuvre « Citizen Kane », d’Orson Wells. » Rosebud », le nom du traîneau perdu sous la neige, de l’enfance volée, et qui explique toutes les névroses d’un milliardaire mourant, qu'on arracha à son enfance, passé à coté de sa vie…
Encore quelques années, et ces images de gentlemen si austères, « so perfect ! » en chapeau melon et costume cravate se rendant chaque matin à leur bureau, seront balayées par les premiers tubes des Beatles, ironiques et déjantées, et renouveront l'image et l'atmosphère du pays.
Les prémices du changement d’époque sont là : Cette aire de jeux pour les enfants, ainsi que le personnage de Margaret Harris, cette jeune employée de bureau enjouée et souriante. Elle rêve d’une autre vie, d’un autre travail. Vivre ! ...
« All the lonely people
Tous les gens seuls
Where do they all come from ?
D'où viennent-ils tous ?
All the lonely people
Tous les gens seuls
Where do they all belong ?
Où est donc leur place ? »
Margaret aurait pu tout autant l’appeler « Nowhere man », l’homme de nulle part...Une chanson qui sera écrite par John Lennon une dizaine d’années plus tard.
« He's a real nowhere man
C'est un vrai homme de nulle part,
Sitting in his nowhere land
Assis dans son pays de nulle part »
Il arrive parfois que la dernière floraison d’un arbre donne les plus beaux fruits... C’est un film profondément réjouissant, de ceux qui nous nourissent, jouant sur une palette de sentiments précieux, dans un monde finissant, aussi vieux et vermoulu que ce monsieur Williams, cherchant néanmoins à se sauver. C’est pourquoi il est si résolument moderne, et toujours vivant, d’un remake à l’autre.
Car il nous interroge sur le sens des valeurs et de la vie, l’engagement de chacun, l’importance de ne pas se fourvoyer, et de mener toujours le combat utile, même s’il est difficile, et tardif.
Bande annonce du film : https://bit.ly/3W74bdu