Vous voulez que je réponde en Français ? Manu speaking in Erivan City/Grad/ Երևան

par Renaud Bouchard
vendredi 12 octobre 2018

Mais komankiparle ?

 

Lors de l'intervention de M. Macron devant l'assemblée de la "French Tech", réunie le 9 octobre 2018 à la Station F à Paris, le public aura été le témoin d'une causerie dont la dérive langagière demeure surprenante comme le montre la vidéo qui suit :

https://youtu.be/obGfbpfZzJQ?t=26

"Vous voulez que je réponde en Français ?" a demandé le chef de l'Etat qui s'exprimait en public. La "start-up nation" était en effet de retour quelques heures avant l'ouverture du 17e sommet de la francophonie à Erevan, en Arménie, où s'est donc rendu le président français.

 

Parlons franchement. La situation ne s'améliore pas exactement. On le voit en France mais aussi à Erivan.

Les trémolos sont convenus, même s'ils ne manquent pas de souffle et de panache...

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/10/11/a-erevan-emmanuel-macron-plaide-pour-une-francophonie-de-reconquete_5368039_3212.html

...mais beaucoup reste encore à faire après la réunion qui s'est tenue jeudi 11 et vendredi 12 octobre 2018 dans la capitale de l'Arménie, l'outil devant être solidement défendu et amélioré, comme le montre l'intéressant débat ci-dessous :

https://youtu.be/zcYFO7kjBTU?t=160

Les faits montreront plus tard ce qu'il en est de l'impression donnée par le chef de l'Etat de s'être lui-même piégé dans une situation diplomatique aux ramifications complexes en essayant de recueillir les bonnes grâces d'un état avec lequel les relations sont compliquées (le Rwanda de M. Paul Kagamé), et voilà que M. Macron ne cesse de s' exprimer dans une langue - l'anglais -, qui est devenue celle de la nouvelle patronne de la Francophonie, Mme Louise Mushikiwabo, ministre des affaires étrangères du Rwanda.

https://francais.rt.com/international/54550-role-conteste-france-dans-nomination-nouvelle-presidente-francophonie

https://www.la-croix.com/Monde/Francophonie-pleine-errance-2018-10-11-1200975208

 

I- Pourtant, lors de son dicours prononcé lors de l'ouverture du XVIIe sommet de la Francophonie, M.Emmanuel Macron a appelé les dirigeants des 84 pays membres de l'OIF à réinventer la francophonie, souvent "trop institutionnelle", selon lui.

 

Sur un ton vibrant et inspiré, le président français a en effet pris la parole au premier jour pour ouvrir le XVIIe sommet de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Lors de son discours, le chef de l’État français a ainsi appelé les participants à "réinventer" la francophonie, laquelle n'est "pas un club convenu, un espace fatigué, mais un lieu de reconquête" des valeurs comme les droits de l'Homme, a-t-il dit.

S'adressant à une quarantaine de dirigeants, le président français a souligné les reproches parfois faits à une francophonie "trop institutionnelle". "La Francophonie doit se redonner un mandat fort en faveur de notre langue", a-t-il déclaré, en particulier en promouvant le français "dans les échanges" et les institutions internationales comme l'ONU ou l'Union européenne. "On doit pouvoir échanger, négocier, proposer des initiatives dans notre langue."

Bravo !

"L'anglais est devenu une langue de consommation. Le français est une langue de création", a-t-il jugé, appelant de ses vœux la création d'un congrès des écrivains francophones. "Cela n'a jamais été fait", a-t-il souligné, et cela permettrait de promouvoir le français comme étant "la langue de la création", ce qui le différencie de l'anglais, "langue d'usage". Admettons, même si en matière de littérature le monde anglophone est lui aussi d'une très grande richesse due à ses locuteurs dans le monde entier.

Question, mais alors, pourquoi M. Macron s'est-il exprimé comme il l'a fait dans la vidéo précitée ?

"Vous voulez que je réponde en Français ?" a-t-il demandé.

Mais oui, M. le Président ! N'êtes-vous pas francophone ? Croyez-vous à ce que vous avez déclaré en public deux jours plus tard ?

II- Manu et Zazie

Comme Roland Barthes le remarquait à propos du roman intitulé "Zazie dans le métro" en particulier et de l'oeuvre de Raymond Queneau en général, lequel parlait une langue remarquable qu'il connaissait et pratiquait parfaitement, "Zazie (petite fille redoutablement intelligente , drôle et délurée qui visite Paris) circule dans son roman à la façon d'un génie ménager".

"La langue de Zazie dans le métro relève en effet à la fois de l'argot des années 1950 que Raymond Queneau consigne dans son œuvre et de la conception théorique du langage qu'il se faisait. Dès le premier mot, le fameux « Doukipudonktant », on peut constater l'utilisation ironique du langage qui se développera tout au fil du roman, entre langage familier, orthographe burlesque, jeux de mots, syntaxe populaire et autres néologismes, passant notamment par plusieurs mots-valises."

Queneau utilise donc le néo-français dans son œuvre. Selon lui, il s'agit de la langue parlée par les Français, mais qui n'a jamais été retranscrite sur le papier, jusqu'à la parution de son roman précité dont la drôlerie, nouvelle à l'époque, commence à plus que gentiment vieillir.

M. Macron, lui, "disrupte". Il utilise devant un public acquis à la French Tech (et pourquoi pas à la technologie française ?) un autre type de néo-français, mais un français littéralement saccagé, entrelardé par un globish supposé imprimer à son langage et à son expression une touche de modernité sans doute voulue, conçue ou imaginée incarner l'irruption de plain-pied ou à pieds-joints (le lecteur tranchera sur la finesse acrobatique de cette double subtilité conceptuelle) dans le monde qui "va de l'avant", un univers moderne ou supposé tel, sorti de la gangue moyennâgeuse dans laquelle demeureraient figés ses concitoyens et compatriotes attardés.

Avec "Zazie dans le métro" (pochade charmante mais très datée, comme le film de Louis Malle), la présence de l'argot qui fait le charme de l'oeuvre littéraire et de son adaptation cinématographique avec de très bons acteurs, est indéniable : au-delà des "bigophone", "coinstot" ou "vous m'emmerdez", la langue de Queneau emploie aussi de nombreuses tournures syntaxiques populaires comme les redoublements de pronom relatif ("pourquoi qu'on") ou les reprises adverbiales ("c'est-y pas"). La langue parlée entre donc conventionnellement dans le roman, et d'abord dans les dialogues, dans la bouche des personnages et de la fillette.

Mais comment M.Macron, dont les qualités langagières et littéraires sont réelles et remarquables, qui écrit et s'exprime agréablement, peut-il se laisser aller à un un tel dérapage langagier, incompréhensible pour un auditeur anglophone par exemple, qui ne peut que sourire ou être surpris devant cette anglicisation et ce passage au laminoir ou au hachoir d'une langue française en train de virer au pidgin ou au néo-sabir ?

Ainsi, Zazie se fait-elle le chantre de ce langage gentiment vulgaire, imagé, argotique, à tel point que ses propos salés pour l'époque soulèvent de nombreuses fois des protestations autour d'elle : " C'est bien simple, dit Charles, elle peut pas dire un mot, cette gosse, sans ajouter mon cul..."

Ainsi E. Macron - dont le langage n'est pas vulgaire, loin s'en faut - se fait-il cependant à son tour le chantre d'un métafrançais imagé, détruit par un entrelardage de vocabulaire anglophone, produisant un métalangage d'une pauvreté de vocabulaire et d'une syntaxe surprenantes de la part d'un personnage politique chargé de représenter la France et sa culture (même s'il en a une conception particulière https://www.youtube.com/watch?v=dlHDccvIq9o et http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/02/06/31001-20170206ARTFIG00209-emmanuel-macron-et-le-reniement-de-la-culture-francaise.php) , à tel point que ses propos finissent par me faire réagir à mon tour : « C'est bien simple, il peut pas dire un mot, ce président, sans ajouter start-up..."

La question se pose et lui est posée, à la manière de Zazie : "Starteupe toi-même  ! Mécépapossible ! Cékoistangliche ? ! Komanktuparles ! TélprésidentdlaFranceoukoi ?"

 

 

Sources, références et citations :

https://youtu.be/obGfbpfZzJQ?t=26

Raymond Queneau et Pierre Dumayet, entretien à propos de "Zazie dans le métro" https://www.ina.fr/video/I00011504

https://www.etudier.com/fiches-de-lecture/zazie-dans-le-metro/lutilisation-du-langage-selon-queneau/

Marine Valerian, Le style de Queneau dans Zazie dans le métro, in https://www.academia.edu/10358760/Le_style_de_Queneau_dans_Zazie_dans_le_m%C3%A9tro

https://www.etudier.com/fiches-de-lecture/zazie-dans-le-metro/lutilisation-du-langage-selon-queneau/

https://youtu.be/czA_kwT-cJI?t=27

 


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