Voyage en solitude

par Gabriel
lundi 8 juillet 2013

 Tic tac tic tac, mélancolique et monotone musique du temps qui passe en boucle. Agaçants et inépuisables tours de cadran des aiguilles trottant sur le fond blanc d’un carillon centenaire.

 Jeanne, quatre vingt deux printemps au sablier des saisons, se meurt d’ennui et de tristesse dans son fauteuil en osier. Le regard de la veuve creusé par les larmes se perd derrière l’horizon imaginaire de sa fenêtre. Elle attend le facteur comme d’autres attendent le Messie. Elle sait pourtant que plus personne ne lui écrit, mais la simple et furtive présence du préposé lui délivrant une facture ou une publicité l’a met en joie car, l’instant de quelques minutes, cela lui fera une petite visite et elle pourra briser l’isolement en échangeant quelques banalités avec le fonctionnaire.

 C’est vrai qu’elle se ronge de solitude la Jeanne depuis que son mari est parti moissonner les plaines fertiles du grand Manitou il y a maintenant presque huit années de cela, après soixante révolutions terrestre autours de soleil de vie commune. Deux mille neuf cent vingt deux jours une heure et douze minute, pour être très précis, qu’elle se flétrie, se consume à petit feu. C’est qu’elle a eu le temps de compter la veuve esseulée.

 Les enfants, leurs photos sur le buffet restent la seule preuve de leurs existences car ils ne viennent plus ou que très rarement, ils sont loin, ils travaillent ou ils n’ont pas le temps. Le temps, la denrée la plus précieuse dans ce monde de cinglés que l’homme gaspille en futilité. Elle, la Jeanne le temps l’énerve car il traîne en longueur, les aiguilles avancent trop lentement, le jour n’en finit pas et les nuits d’insomnies sont aussi longues que des peines de prison, les yeux grands ouverts à voir passer les mêmes fantômes quant les ténèbres s'agrandissent et les rêves se fiancent.

 Bien sur, elle trottine chaque jour péniblement jusqu’à la boulangerie, l’épicerie, il faut bien mettre un peu de carburant dans ce frêle petit corps et surtout, surtout parloter avec les commerçants mais, ils sont trop occupés et vite servi, vite parti, tristes éclipses de regards.

 L’absence de relation humaine est son manque, son abîme, sa souffrance. Cette mise à l’écart de la société, cet isolement, cette privation d’amour, d’amitié, l’angoisse et la consume de l’intérieur. Plus personne pour partager ses émotions, ses rires, ses joies et ses appréhensions, pour apposer un baume de gentillesse sur ses doutes et ses peurs face à l’échéance qui approche. De nos jours, la solitude est considérée comme une sorte de tare, elle a un subtil parfum de tristesse, quelque chose qui n'attire, ni n'intéresse personne, et dont on a un peu honte.

 Elle a bien conscience de cette dépendance à la compagnie d’autrui. Certain psy vous diront que quand on cherche les stimuli à l’extérieur de nous-mêmes, nous vivons un phénomène de dispersion. Que nous sommes tout aux choses et aux êtres qui nous entourent sans être présents à nous-mêmes. Du blabla oui, j’aimerais bien les voir avec pour seule compagnie une télé qui déballe stupidités et mensonges à longueur de journée. La solitude qui détruit est aussi celle qui est subie.

 La solitude fait partie de notre expérience de la vie, certes, mais à petite dose s’il vous plait... Nous sommes des animaux sociaux et toute notre vie active on nous a appris à faire avec les autres, la famille, les voisins, le patron, les clients, les collèges de travail etc… Et aujourd’hui, l’exil social. La société dans laquelle nous sommes nés repose sur l'égoïsme. Les sociologues nomment cela l'individualisme alors qu'il y a un mot plus simple, nous vivons dans une société de solitude.

 Quel paradoxe dans ce monde de communication, d’omniprésence des médias, ou une majorité d’individus partage son temps entre le mobile scotché à l’oreille, la vie virtuelle sur ordinateur ou l’abrutissement télévisuel. L’homme a des milliers d’amis sur facebook mais ne connaît pas le nom de ses voisins. C’est d’une hilarante tristesse.

 Nous n’existons et ne vivons qu’à travers le regard des autres. Chaque instant qui s’offre à nous est un nouvel apprentissage de la vie, dans ses limites comme dans ses moments de grande plénitude. Même si notre besoin de l’autre est très grand, il ne peut remplir notre vide et nous apporter la sécurité que nous recherchons. Cette sécurité, il faut la trouver en nous-mêmes car le chemin, il faut le faire solitaire et solidaire.

 Il est un temps vers la fin du parcours ou l’on doit se tenir soi-même dans sa main et s'offrir au néant…


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