Y a-t-il un vote juif ?

par Ben Ouar y Villón
mardi 30 janvier 2007

Au cours du repas annuel du CRIJF qui se tenait à Paris ce mardi 23 janvier 2007, des candidats à l’élection présidentielle ont été aperçus. Retour sur un banquet qui n’a rien de républicain.

Casting impressionnant, candidats à l’élection présidentielle, ambassadeurs, Premier ministre... tout le monde était là : monsieur le Premier ministre, madame l’ancien Premier ministre, monsieur le président du Sénat, monsieur le président de l’Assemblée nationale, des ministres du gouvernement, des élus, monsieur le maire de Paris, madame la présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, des représentants de l’autorité de l’État, des représentants des religions chrétienne, musulmane et juive, des ambassadeurs des pays musulmans, d’Egypte, de Jordanie, du Maroc, du Pakistan, de Tunisie, l’American Jewish Committee et enfin, Robert Redeker.

Si l’on en croit le président du Crif, M. Roger Cukierman, son association est l’organe politique des associations communautaires juives de France. Voilà déjà un beau hiatus dans le paysage laïque de la France. Si demain le CRAN ou les Berbères de France organisaient un tel repas, des candidats à l’élection s’exposeraient à un chapelet de critiques : déviance, communautarisme, allégeance à des groupes de pressions.

La question que tout le monde se pose est : y a-t-il un vote juif ?

Je me le demande moi-même, alors que je ne devrais pas me poser la question, tant je suis persuadé de vivre dans un pays qui a intégré le modèle républicain laïque. On me rétorque avec raison qu’il y autant de Français de confession juive à droite qu’à gauche, autant qu’il y a d’électeurs. C’est le bon sens.

Mais l’institution présidentielle ne ressemble pas aux autres. Les Affaires étrangères, comme la Défense notamment, ressortent de sa compétence. Cela intéresse de près une communauté qui, bien entendu et c’est naturel, a une certaine inclination pour la sécurité d’Israël, « l’attachement à Israël faisant partie de l’identité juive », comme le soutient Roger Cukierman. De cette matière, on sait que Nicolas Sarkozy, dont la proximité amicale des néoconservateurs américains ne fait plus de doute depuis quelques mois, représenterait un candidat plus "sûr" pour le soutien à la politique d’Israël dans cette région du monde.

Qui croit vraiment qu’il n’y a pas de vote juif ? En ce qui concerne l’élection du président de la République, nous ne sommes plus des enfants, cette association peut donner des consignes de vote allant dans le sens de l’intérêt supérieur d’Israël et /ou de la communauté juive.
Les choses iront différemment lors d’élections législatives où, alors, droite et gauche s’expriment plus librement à l’intérieur de la communauté. Je reste persuadé qu’il y a bien un vote juif lors de l’élection présidentielle. D’ailleurs, comment expliquer autrement la présence de candidats à la présidentielle à ce dîner si peu républicain ?
A 600 000 voix près, le premier tour d’une élection présidentielle se joue.

Tout au moins, si Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy étaient présents, il s’agissait pour ceux-là de ne pas déplaire par une absence remarquée qui aurait des connotations de mépris voire de rejet. Certains esprits sourcilleux et autres gardiens du temple ne le comprendraient pas autrement.

Le CRIF avait deux requêtes à exposer. D’abord, que la France soit "la première grande puissance à reconnaître un fait réel : Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël" et qu’Israël entre "au sein de l’Organisation mondiale de la francophonie".

Mais au-delà des requêtes officielles, il y avait aussi, comme sous-tendue, une demande de blocus économique contre l’Iran.

Que l’Iran se dote d’une puissance énergétique publique ne me choque pas, suivant le principe de souveraineté nationale, que j’entends, par ailleurs, faire respecter chez nous. Mais les arrière-pensées martiales sont évidemment présentes dans toutes les têtes. Non content, dans la bouche de M. Cukierman se mêlent les arguments politiques aux impératifs de morale économique. Lisons ensemble : "...des sociétés françaises comme Total, Renault, Peugeot et BNP développent leurs affaires en Iran. On ne peut pas le leur reprocher alors que nulle voix autorisée, nulle autorité politique ne leur a demandé de mettre en balance l’intérêt mercantile et le danger d’une guerre atomique." >Allocution de Roger Cukierman au dîner du CRIF du 23 janvier 2007

C’est monsieur l’ambassadeur des USA qui a dû se sentir gêné aux entournures lorsque l’on sait les échanges ouverts qu’entretiennent les Etats-Unis d’Amérique avec la Chine ou encore le Vénézuéla. La France devrait montrer le chemin, n’est-ce pas ? Son commerce extérieur n’est pourtant pas ce qu’il y a de plus florissant en Europe, mais qui se soucie vraiment de la réussite économique des entreprises françaises dans le monde ? On aurait mieux compris que l’Allemagne soit montrée du doigt, à ce compte, car il se vend des berlines allemandes partout dans le monde.

Du reste, s’il fallait demain que la France analyse au cas par cas la situation d’un pays au regard d’Israël avant de commercer avec lui, quels seraient nos partenaires ? Des américains protectionnistes peut-être ? Faut-il rappeler que la politique menée par Israël (et non le principe de son existence) n’est pas du goût de tout le monde, du ponant jusqu’à l’orient ? Se souvenir aussi des appels à la désobéissance militaire des généraux Yiftah Spector et Yig’al Shoat. Autrement dit, l’antisémitisme que ressentirait la communauté juive de France ne fait-il pas systématiquement écho aux exactions de l’armée israélienne, n’est-ce pas une synagogue qui brûle à chaque fois qu’une école libanaise est touchée ? Israël par son statut particulier et sa position dans le monde devrait se doter d’une éthique sans faille et d’une droiture exemplaire à l’égard de tout ennemi susceptible de justifier des actes de terrorisme.

La seule suggestion sérieuse présentée par le CRIF serait que, le 27 janvier prochain, date de la journée mondiale de la Shoah au camp d’Aix-Les Milles (13) , M. l’ambassadeur d’Iran en France soit solennellement convoqué, et M. l’ambassadeur de France rappelé. Selon le président du CRIF, les Etats arabes seraient encore plus menacés qu’Israël par l’Iran, tant l’empire persan a toujours été l’ennemi des Arabes...

A l’heure de la célébration des Justes, un sentiment mêlé de culpabilité à l’égard des juifs au siècle dernier peut-il suffire à expliquer la présence au même endroit et à la même heure de toutes ces brillantes personnalités, censées représenter la République française, et donc la laïcité ? Evidemment pas.

Pour faire court, et tout à fait laïquement, j’avoue un certain malaise à imaginer le Premier ministre de notre pays prendre des leçons de morale comme celle-ci, année après année, devant l’assemblée du gotha international, à l’invitation d’une association religieuse.

Lire le texte de Simone Veil à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
un forum de Chems Eddine Chitour professeur à L’école nationale polytechnique


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