Y a-t-il une doctrine sarkozyste de l’Education ?

par Olivier Perriet
mardi 1er juillet 2008

Tentative de décryptage des différentes mesures lancées depuis un an au sujet de l’Education.

Parmi la multitude de "réformes" lancées par le pouvoir exécutif, celles qui touchent à l’éducation peuvent sembler les moins "lisibles" au vu des réactions qu’elles suscitent. En effet, si, par exemple, les suppressions de postes dans le secondaire s’attirent les critiques - attendues - des syndicats d’enseignants, la reconnaissance de l’état de délabrement de l’enseignement primaire ainsi que la réhabilitation des méthodes d’apprentissage "traditionnelles" contre "le pédagogisme" réjouissent, au-delà des supporters du président, des personnalités qui se revendiquent de la gauche républicaine comme l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli, le philosophe Alain Finkielkraut ou le collectif "Sauvez les Lettres".

Ces réactions contrastées prouvent, s’il en était besoin, que la politique éducative suscite des clivages qui ne sont pas réductibles à une simple opposition droite gauche.

Pour autant, quel décryptage peut-on faire du sarkozysme éducatif ?

Dans l’émission de RTL On refait le monde, le chroniqueur tendance néo-conservateur Yvan Rioufol (qui est quelque peu revenu de son enthousiasme initial pour notre président) a analysé la politique sarkozyenne comme une tentative de synthèse entre deux visions opposées de l’école, l’école plutôt "utilitariste", qui distribue des diplômes et s’adapte à l’économie, et l’école plus "traditionnelle", qui s’attache d’abord à transmettre une culture et des valeurs.

Il nous semble que cette analyse, brièvement exprimée dans l’émission, et qui a le mérite de trancher avec les lieux communs le plus souvent assénés, va dans la bonne direction. Nous nous proposons donc de la développer et de l’étoffer quelque peu.

Si nous tentons de reprendre une par une les mesures et orientations impulsées sur l’école, on se rend effectivement compte que l’ensemble dessine un arc en forme de grand écart entre la satisfaction des aspirations consuméristes modernes et la remise à l’honneur des valeurs de l’école "d’autrefois" (d’avant les années 60). Avec pour toile de fond les économies budgétaires, le désengagement accru de l’Etat dans l’enseignement supérieur avec l’autonomie (financière, l’autonomie de l’enseignement étant acquise depuis 1969) des universités, et, bien sûr, la tentative, proprement inouïe, de transformer l’école en vecteur de diffusion privilégié de l’esprit compassionnel, doloriste et victimaire qui constitue l’univers de notre président1.

La polémique née des restrictions budgétaires, supposées indispensables pour sauver "notre Etat en faillite", et qui se traduiront par de nombreuses suppressions de postes à la rentrée a été l’occasion de cette contre-attaque habile qui a ravi les tenants de l’école "traditionnelle".

Face à des syndicats dont le seul et unique discours tient, encore et toujours, à "l’augmentation (ou le maintien) des moyens" 2, le ministre a pu rétorquer non sans raison que l’argent et les créations de poste ne font pas tout, et que, vu les résultats médiocres de l’enseignement primaire notamment3, il était temps de s’interroger sur les méthodes d’enseignement et les programmes.

D’où la remise à l’honneur de la pédagogie traditionnelle (par cœur, dictée, apprentissage plus directif) au détriment des méthodes dites "pédagogistes" (apprentissage par expérimentation, culte de la pluridisciplinarité…) qui sont supposées être impliquées dans cette diminution, bien avérée, du niveau. Un recentrage sur les matières fondamentales (français, mathématiques, grammaire) au détriment des matières "d’éveil" afin que les élèves entrant en 6e sachent tous "lire, écrire et compter4". Et la possibilité pour les élèves d’aller à des cours de rattrapage pendant les vacances scolaires, assurés par des enseignants volontaires, ce qui, assurément, ne pourra que leur être bénéfique.

On l’a bien vu, cette riposte a suscité la bienveillance de personnalités "de l’autre rive" qui revendiquent leur attachement à la méritocratie républicaine, tout en coalisant des oppositions a priori inattendues. Ainsi les anciens ministres Jack Lang et Luc Ferry se sont-ils associés, dans un article écrit à quatre mains dans Le Monde, pour flétrir cette inflexion. Il est vrai que, bien que n’étant pas, en théorie, situés du même côté de l’échiquier politique, le second a travaillé sous les ordres du premier à l’élaboration desdits programmes avant d’être promu ministre en 20025

Alors, Sarkozy, partisan de l’école de Jules Ferry contre l’école libérale-libertaire issue de Mai-68 ? Il est permis d’en douter.

En effet, il est révélateur que l’année qui s’est écoulée depuis son élection a débuté par la remise en cause de la carte scolaire et s’est achevée, au plus fort des grèves enseignantes et lycéennes contre les suppressions de postes, par la polémique sur le service minimum dans l’Éducation nationale.

Cette question de la carte scolaire est typique de la conception dévalorisante du service public que diffuse le pouvoir exécutif 6. Dès le départ, sa suppression a été présentée comme la réponse ultime donnée par l’Etat à des familles éplorées, dont la progéniture est obligée, par le fait d’une bureaucratie rigide, à fréquenter "des établissements poubelle" [sic]. La question "pourquoi a-t-on laissé se développer ces établissements paupérisés ?", qui devrait interpeller tout gouvernement digne de ce nom, est donc évacuée au profit d’un stupéfiant appel au sauve-qui-peut général qui ne réglera, évidemment, rien. Puisque les places dans les établissement "cotés" ne sont pas extensibles à l’infini d’une rentrée à l’autre. Et que les établissements ghettoïsés ne disparaîtront donc pas par la main magique du marché. Habileté suprême, cette carte scolaire a même été condamnée parce qu’elle entérine un urbanisme ségrégatif qui concentre dans les mêmes quartiers les foyers de niveau de vie semblables. En somme, plutôt que d’améliorer un instrument de mixité sociale, on préfère le supprimer sans rien mettre à sa place, au prétexte de ses lacunes. Mais la question n’est, semble-t-il, pas encore tranchée et des rebondissements multiples ne sont pas à exclure… Reste qu’en dévalorisant de la sorte les services publics, nos dirigeants, garants de ces services, se tirent une balle dans le pied.

D’autres faits révèlent la conception très libérale qu’a le pouvoir de l’école. Ainsi de la suppression des cours le samedi matin, dont on comprend mal l’intérêt, mis à part celui de faciliter les départs en week-end pour des familles toujours traitées en potentielles victimes de l’institution scolaire. Ce qui, entre parenthèses, devrait avoir pour autre conséquence la diminution du nombre d’heures et devrait ainsi limiter l’ampleur du fameux "recentrage" sur les matières fondamentales évoqué plus haut.

Invité à l’Assemblée générale de la PEEP (fédération de parents d’élèves classée à droite, au contraire de la FCPE classée à gauche), Xavier Darcos en a profité pour réaffirmer le partenariat que les familles doivent nouer avec l’école, montrant bien que, dans cette relation, le politique ne favorisera ni l’un ni l’autre de ces "partenaires" (et surtout pas l’institution scolaire) qui se voient ainsi traités sur un pied d’égalité. Quand bien même, par définition, l’élève ne sait pas ce que l’instituteur sait et qu’il n’y a donc pas d’égalité entre les deux. Et que ce discours encourage sciemment les familles à se comporter en créancières d’une école qui devra délivrer toujours plus de bonnes notes et de diplômes.

Dernier signe fort lancé par le gouvernement (pour qui sait le voir), la polémique sur "le service minimum dans l’Education", assuré par les communes volontaires. Lancée au plus fort du mouvement enseignant et lycéen contre les suppressions de postes, cette seconde contre-attaque a réussi, là encore, à piéger des syndicats corporatistes qui sont tombés dans le panneau en agitant le chiffon rouge de "l’atteinte au droit de grève". Alors que ses implications sont ailleurs. Des esprits naïfs auraient pu penser que toute cette agitation permettrait une sortie par le haut et qu’ainsi serait posée la seule question qui vaille au fond : à quoi sert l’école ? Au lieu de cela, cette polémique démontre qu’aux yeux des syndicats et du gouvernement, le rôle de garderie que joue l’école, d’accessoire, est devenu principal. Finalement, les grèves gênent uniquement les familles dans le sens où les enfants ne sont pas gardés. Qu’importe la qualité de l’enseignement dispensé.

Mais du reste, pourquoi N. Sarkozy a-t-il lancé cette tentative de synthèse ? Bonne question…

Il est vrai qu’a priori, le camp de la droite "décomplexée" et "anti-soixante huitarde" (du moins en apparence) semblait logiquement prédisposé à poursuivre sa mainmise sur le thème des valeurs, de l’ordre, de l’effort… dans le champ de l’école. Le tout sans renier ses orientations libérales et individualistes promptes à criminaliser les fonctionnaires, mais sans aller (pour l’instant ?) jusqu’aux excès prônés par le chiraco-libéral Luc Ferry. Peut-être aussi que le souvenir de l’école de l’autre Ferry (Jules), qui visait, aussi, à souder la nation autour de l’idée de revanche sur l’Allemagne, semble un modèle d’endoctrinement de masse, aux yeux d’un président qui veut révolutionner la société et faire table rase du passé. D’autant plus que le camp de la droite a toujours été prompt à voir la patte du complot gauchiste derrière les manifestations étudiantes et lycéennes (parfois avec quelques bonnes raisons, il faut bien le reconnaître). La tentation de gagner les esprits en faisant de la contre-propagande se traduit peut-être ainsi.

Mais, que les défenseurs de l’école républicaine ne s’y trompent pas, ce genre de synthèse est voué à l’échec. L’esprit consumériste, la dévalorisation du savoir comme facteur de reconnaissance sociale, au profit de la réussite individuelle par l’argent, conservent un tel attrait qu’il est illusoire de vouloir les contenir en composant avec. Et pas seulement à cause de "l’héritage [diabolique ?] de Mai-68", qui ne fut que le point d’orgue d’une transformation profonde et durable de la société.

Car, quoi qu’on en dise, le pouvoir politique conserve certains leviers permettant d’aller à contre-courant de "l’air du temps". Et ce sarkozysme-là montre clairement que ce n’est pas son objectif principal, juste le moyen de gagner des soutiens en profitant du désarroi dans lequel les laisse "leur camp", qui a, depuis longtemps, succombé aux sirènes de l’école libérale. Fut-elle libertaire.

1 De l’élévation de Guy Môquet au rang de héros national pour la seule raison qu’il était devenu celui d’un candidat le temps d’une demi-campagne électorale, à la prise en charge de la mémoire d’un enfant mort en déportation par les classes de CM2, initiative heureusement remisée dans les placards devant la levée de bouclier qu’elle a suscitée…

2 Alors que, faut-il le rappeler, l’Education nationale, premier budget de l’Etat, sert principalement à payer les enseignants puisque les dépenses d’entretien des locaux ont été décentralisées aux collectivités locales depuis les années 80. Les moyens engagés pour l’enseignement en général sont donc très largement supérieurs aux dépenses du seul ministère…

3 Selon les estimations, 15 % des élèves qui sortent du primaire sont en grande difficulté.

4 Objectif martelé par tous les ministres depuis dix ans, c’est dire à quel point il est loin d’être concrétisé…

5 Et d’y lancer une vaste tentative pour libéraliser l’enseignement secondaire en transposant la liberté pédagogique existant dans les universités aux lycées et collèges, sur la lancée de la grande décentralisation ultra-dogmatique de J.-P. Rafffarin. Cette tentative a, heureusement, été tenue en échec, après plusieurs mois d’agitation.

6 Dans la novlangue en vigueur, on appelle cela du "réalisme".


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