Yazid Sabeg, the right man at the right place
par Act
mardi 24 février 2009
Après de nombreuses nominations gouvernementales plus spectaculaires que pertinentes, la désignation du commissaire à la diversité marque un point radicalement différent par sa justesse. La maîtrise du sujet et le dynamisme du grand patron ne seront pas de trop pour résorber l’éclatement social et ethnique de la France.
Ils auraient été trois présélectionnés pour un choix final difficile : l’ancien patron de SOS Racisme, Malek Boutih, le directeur de Sciences Pô, Richard Descoings, et le grand patron, Yazid Sabeg. Le point annonce le désistement du premier qui n’aurait pas osé franchir le pas de « l’ouverture » sarkozyste, un mystère quand on connaît ses déboires au sein du PS. Le second sera orienté vers une mission moins ambitieuse auprès du ministre de l’éducation nationale, Xavier Darcos. Ne restait plus que Yazid Sabeg dont la nomination couronne deux décennies d’activisme polymorphe en faveur de l’égalité des chances. On se prendrait à applaudir le président de la république, qui après des choix spécieux de débauchage ou de promotion de personnes manifestement incompétentes, opte enfin pour une personnalité de savoir et de caractère. Mais vu la diversité des profils en lice, les hésitations de Nicolas Sarkozy interrogent sur ses intentions réelles et sur la marge de manœuvre dont disposera le nouveau commissaire.
L’homme de la situation
L’esprit malicieux, le verbe clair et le propos assuré le tout servi par une forte constitution, Yazid Sabeg en impose. Même ses contradicteurs les plus tenaces ploient de manière générale assez rapidement devant ses arguments. Il faut dire que ce patron d’une entreprise du CAC 40 n’intervient que sur des sujets qu’il maîtrise et en matière d’immigration et d’intégration, notre homme sait de quoi il parle. Issu d’une fratrie de quatorze enfants et fils d’un docker ancien policier Yazid Sabeg est né à Guelma, une ville qui été en 1945 le théâtre d’un des principaux massacres de la l’armée coloniale en Algérie. Dès le milieu des années 80 il se saisit de la question et milite autour de lui. En 2004 il publie avec son frère Yacine, Les Oubliés de l’égalité des chances qui décrit précisément les mécanismes de l’exclusion et le parcours des descendants des anciens colonisés. Cet ouvrage sera le premier d’une impressionnante série de publications constituée de rapports, de communications ou d’essais aussi bien privés qu’à destination des pouvoirs publics. Intellectuel, ce docteur en économie est aussi un véritable homme d’action qui n’hésite pas à descendre sur le terrain et à prêcher par l’exemple. Au sein de son groupe CS Communications & Systèmes, actif l’informatique de défense, il pratique un recrutement ouvert aux jeunes gens issus des quartiers et de la diversité. Franc-maçon et éminent membre de l’Institut Montaigne, Yazid Sabeg, a l’oreille d’un certain nombre de patrons dont Claude Bébéar, ce qui lui a permis de faire passer la charte de la diversité qui entendait ouvrir les entreprises aux candidats issus de l’immigration. Mais ses relations vont au-delà du monde de l’entreprise puisqu’il entretient de forts liens avec des politiques aussi bien à gauche qu’à droite.
Promoteur des statistiques de la diversité, qui seules permettraient d’évaluer les politiques menées, il se heurte à l’hostilité de « républicains » prêts à briser le thermomètre plutôt que de voir mise sur la place publique l’inqualifiable injustice faite aux minorités ethniques en France. Simone Veil dans son rapport sur la question s’inscrit parfaitement dans cette logique. Le sujet est brûlant et le conservatisme le plus trivial semble être du meilleur aloi. Dans le même temps, la Halde sensée lutter contre les discriminations est présidée par l’invisible Louis Schweitzer, ancien patron de Renault, dont la réserve s’expliquerait par un passé trouble dans le domaine. Avec la sévère condamnation de la firme automobile pour discrimination raciale, cette nomination effectuée par Jacques Chirac ressemble au choix du loup pour garder la bergerie. En 2002, une étude commanditée par le premier ministre sur les cadres issus de l’immigration s’était heurtée à une fin de non recevoir de près de la moitié des organisations sollicitées. Dans les rangs des insurgés, on comptait de nombreuses institutions publiques dont Renault et EDF mais aussi le Ministère de l’intérieur. Régulièrement pressenti comme ministre depuis le second mandat de Chirac, Yazid Sabeg n’a jamais retenu le choix du président de la république en activité. Son sens critique et sa liberté de ton n’y sont certainement pas étrangers. Autant d’atouts qui avec sa force de persuasion ne seront pas de trop face à la tâche singulièrement lourde et délicate qui l’attend.
Briser le plafond de verre
Depuis bientôt une décennie, dès qu’on parle d’intégration par le travail, la question revient inlassablement comme un anti-leitmotiv : êtes-vous pour la discrimination positive ? Le malheureux qui répond par l’affirmative est aussitôt qualifié de communautariste ou mieux encore de raciste et livré à la vindicte populaire de l’auditoire ou du lectorat. L’expression même « discrimination positive » est lourdement moquée dans les médias. Doit-on rappeler qu’elle a commencé à être utilisée pour l’interdiction du travail de nuit des femmes dont une loi de 1892, interdisait la pratique ? Faut-il aussi préciser que ce terme répond à la discrimination, négative pour le coup, qui se retrouve par là même grossièrement éludée ? Enfin, doit-on rappeler que cette expression se veut également le pendant de l’affirmative action américaine et de la positive action britannique ? Les politiques anglo-saxonnes ont largement fait leurs preuves en permettant l’émergence de classes moyennes et sur le plan des individualités, l’expression de talents de la plus haute qualité. Trevor Mc Donald, présentateur vedette du journal de la BBC, Michaëlle Jean, gouverneure générale du Canada et Barack Obama sont les plus éminents exemples parmi des dizaines de milliers d’autres absolument remarquables. Qui aurait sérieusement envisagé de tels parcours en France, pays de l’assimilation et du monocommunautariste national ? Pas même la plus optimiste des personnes de foi. Le niveau d’éducation ou de communauté culturelle ne sauraient non plus être un argument pour expliquer l’absence honteuse des minorités visibles au sein de hautes sphères de la société française et leur part congrue parmi les classes moyennes. Yamina Benguigui dans son excellent film, Le plafond de verre, démontre tout le contraire. Le constat est dramatique, littéralement fou : plus l’assimilation du « minoritaire » est forte, moins son intégration est acceptée dans la mesure où il postule naturellement pour les hautes sphères sociales. Le mur auquel il se heurte provoque une profonde frustration et les pathologies mentales liées aux injonctions paradoxales ne sont jamais éloignées. Les enseignants d’établissements difficiles qui ont vu ce film en sont ressortis tout retournés en saisissant en bonne partie les raisons du peu d’enthousiasme de leurs élèves. L’absence ou l’invisibilité dans les hautes sphères de la société des personnes issues des anciennes colonies empêche le double effet positif de l’identification : les recruteurs n’identifient pas ces minorités à la réussite ce qui les rend imperméables à leur profils, tandis que les mécanismes d’identification pour les plus jeunes ne fonctionnent en l’absence de référence phénotypique séduisante. On est pourtant ici à l’opposé total du sauvageon des cités ou de la famille innombrable vivant aux crochets de la nation laborieuse que certains tentent lourdement de coller à l’ensemble des ex colonisés.
Les sauvageons ou les profiteurs antagonistes aux canons de la société française existent bel et bien. Il suffit d’avoir souvent pris un train de banlieue ou passer quelques heures dans la majorité des cités pour en avoir rencontré ou subit quelques représentants. Le dégoût, la peur ou la colère qu’ils suscitent sont tout à fait compréhensibles et légitimes. En revanche s’en tenir à ces ressentiments serait puéril et dangereux. Ces personnes, dont la présence en France n’est pas un hasard, sont en général les premières victimes d’une politique d’intégration désastreuse. Cette situation est d’autant moins admissible que ces jeunes gens si décriés sont des mines de dynamisme et de créativité et que la France sait intégrer ou assimiler quand elle le souhaite. Le parcours de Yazid Sabeg parmi d’autres en est exemplaire. L’intégration de la Bretagne ou la formation historique des élites républicaines métropolitaines ou d’outre mer sont des succès dont la brutalité ne saurait masquer l’efficacité. Parce que si les objectifs sont partagés, le consensus sur les moyens s’établira facilement. Depuis 2007 seulement la France compte un député issu des minorités, de quoi laisser pantois les membres du Black Caucus américain dont la représentation est proportionnelle aux populations noires. Trevor Phillips, le responsable de l’égalité des chances britannique s’était déjà profondément ému de la situation des minorités en France en 2005. Cela n’empêchera pas le gouvernement de le décorer de la Légion d’honneur en 2007, comme si seuls les « minoritaires » anglo-saxons pouvaient être méritants. Cette attitude rappelle l’admiration pour les GI’s noirs de la seconde guerre mondiale qui tranchait net avec le racisme ouvert opposé aux troupes africaines. Il aura fallu attendre plus de quarante ans et le succès du film Indigènes pour que Jacques Chirac, intime des dictateurs d’Afrique, pense à réhabiliter leurs pensions gelées depuis les pseudos indépendances des années 60. Même l’arrêt de 2001 du Conseil d’Etat n’avait pas mis un terme à cette incroyable discrimination. Le dynamisme économique et culturel des pays nordiques et anglo-saxons tant admiré en France est le résultat de leur ouverture à la diversité. Pour un pays faire une place équitable aux minorités, c’est sans équivoque multiplier ses voies et ses chances de succès. En revanche, se refuser à l’ouverture, c’est faire à coup sûr le lit de tous les communautarismes.