Yes, we have to be dangerous

par Michel Koutouzis
samedi 31 mars 2012

The Economist, dans un sombre éditorial, accuse la classe politique française (à commencer par les deux protagonistes) d’être dans le déni de réalité. Il prévient : Si un candidat de gauche est élu, il se rendra vite compte que le marché obligataire tourne le dos à la France. Les commentateurs économiques indigènes ne disent pas autre chose : en cas de victoire de l’opposition ils promettent une guerre totale de la part du marché, dont les armes sont déjà affutées. L’inénarrable Tapie, à sa manière, s’insurge du fait que l’on s’attaque au marché qui paie tous les mois nos fonctionnaires.  Pour The Economist, comme pour Tapie, comme pour Fiorentino, pour ne prendre que les plus bavards et engagés dans leur logorrhée libérale, si la France ne courbe pas l’échine à la manière des gouvernements grec, italien ou espagnol, si elle n’assume pas la dictature du marché, elle est condamnée à la déchéance, à la régression crypto – staliniste dénoncée avec fougue par Nicolas Baverez. Ces énormités belliqueuses, cette assurance narquoise qui fait semblant d’oublier que nous sommes encore dans un semblant de démocratie, que le vote citoyen n’est pas une décoration surannée mais un système de gouvernement avec ses règles et ses lois auxquels ils doivent se plier, en d’autres temps aurait généré le fou rire. Or, personne ne rit, et ces formules anti démocratiques avérées et répétées au fil des jours ne gênent personne ; au contraire, elles sont prises au sérieux sans être stigmatisées, comme si le monde irréel de la finance, celui-là même qui a démontré que la démesure est sa loi, celui qui a détruit économies et patrimoines, Etats et ménages par ses mensonges, ses tours de passe-passe financiers et ses cachoteries honteuses, était, par définition structurelle, hors des murs de la Cité. 

On peut à la rigueur supporter l’inacceptable lorsqu’un Rajoy considère comme insignifiantes les manifestation des peuples ibériques : après tout, dans cette parodie qu’est devenue le processus démocratique, il a gagné les élections, la forme y est. Mais pour mettre en place les mêmes mesures, en Italie et en Grèce on est passé à des gouvernements non - élus, à un flou institutionnel et juridique digne des régimes autoritaires sévissant sur d’autres continents et en d’autres temps, à des pertes de souveraineté criardes, à une paupérisation galopante que les technocrates européens ne peuvent plus occulter, malgré leurs discours lénifiants. C’est justement ces régimes hybrides que The Economist et tous les commentateurs précités prennent comme l’exemple à suivre. A leurs yeux, tout processus démocratique, pourtant perverti par les faux débats, faussé par les campagnes électorales et leurs faiseurs d’images fuyant l’essentiel comme le diable, travestis par des mensonges honteux à répétition (hubris pour toute démocratie qui se respecte mais pourtant banalisés), restent un risque : malgré tout cela, le citoyen pourrait choisir la mauvaise voie, celle de leur contestation. Alors, arme suprême, ils nous préviennent, comme le faisait Sparte il y a deux mille cinq cent ans : est juste ce qui fait notre affaire et légal ce qui préserve nos intérêts.

Curieuse manière, en effet, de faire l’apologie de l’incivisme, de la soumission aux plus puissants, d’entériner la corruption. Rien que de penser faire payer des impôts aux plus riches reste impossible par ce qu’ils vont partir ailleurs. C’est tellement impossible, explique The Economist que quiconque le conçoit est ridicule et dangereux. Soit, ne paieront des impôts que ceux qui, enchaînés à leur travail, à leur pays, à leur famille, salariés et fonctionnaires, ne peuvent pas prendre le large, ne peuvent pas profiter des paradis fiscaux (désormais disparus selon le président –candidat), ni du secret bancaire extraterritorialisé. 

Le discours politique financier se radicalise. Il y a encore quelques années, il avançait ses critiques sur l’Etat dépensier ou le syndicalisme politique mais gardait les apparences, ne s’en prenant qu’à la marge aux institutions démocratiques. Aujourd’hui, c’est chose faite. L’oligarchie financière tient son discours oligarchique, conteste les élections et leurs résultats probables, et prévient : ceux qui s’aventurent sur les chemins multiples de la démocratie sont des utopistes malsains. Il n’existe qu’une route, une autoroute, la leur, et pour y circuler il faut faire payer à leurs peuples un péage exorbitant.

 

Le président -candidat ose affirmer que la crise semble être derrière nous. Qu’est ce qui lui permet de dire une chose pareille (à part sa propension à l’inexact) ? Sans doute le message de la vieille Albion : peu importe les données, les indices macroéconomiques, la dette de la Grande Bretagne. Rien ne lui arrivera tant qu’elle restera le serviteur obligé du marché. Le message présidentiel reste avant tout politique : hors de moi, de mes connections, de mes reculades et de mes incohérences, pas de salut. Je suis ainsi, mais je vous préserve des foudres du marché. En effet. Pendant ce quinquennat, le président -candidat s’est pris pour beaucoup de choses : riche exhibitionniste, peuple grognard, majorité silencieuse vindicative,  Du Guesclin ou Bismarck ; désormais il se croit sens unique.

Une fois encore, on est enclin à sourire. Cependant le radicalisme financier, lui, ne rigole pas. Avant qu’il ne soit trop tard, que les dernières digues ne sautent, que la loi ne soit plus qu’une pièce shakespearienne, Comme il vous plaira en occurrence, il faut lui opposer une autre radicalité. Celle qui rendra au mot de crise son vrai sens, celui du jugement.

Yes, we have to be dangerous. Non par bravade utopique, mais par simple esprit de conservation.


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