Yo man, la fin du monde est proche !

par hommelibre
samedi 19 mars 2011

Il manquait vraiment plus qu’une seule catastrophe : le déluge ! Et bien nous l’avons. Le déluge est là, il nous emporte et va bientôt nous engloutir. Des millions d’humains à travers le monde sont déjà pris dans son flot, fracassés par son courant. Le flot monte, il n’y a bientôt plus rien à quoi s’accrocher, plus rien d’autre que sombrer dans le désespoir le plus noir. Tout est foutu, c’est la fin, (ici, on place un râle virtuel).

Mais quel est ce déluge ? C’est le déluge des mots, des prédictions, des incantations morbides, des peurs, des alarmes extrêmes, du catastrophisme, de l’apocalypse ! Ce déluge en emporte de plus en plus. C’est un tsunami de l’information, des experts et contre-experts, de ceux qui le savaient bien, de ceux qui l’ont lu dans la bible ou chez les mayas. C’est une vague géante d’insultes et d’anathèmes contre ceux qui ne cèdent pas à la panique et l’urgence mais qui essaient encore un peu de réfléchir.


Séismes en augmentation ?

Le stress mondial tourne autour de la Terre à toute vitesse, c’est un ouragan mélangeant en vrac un peu de tout.

Dans ce vrac on trouve les fin-du-mondistes. Ils font des liens abracadabrantesques. Par exemple ils additionnent les dates du 11 septembre avec celle du séisme au Japon : 11/09/01 + 11/3/11 = 22/12/12, la date de la fin du monde telle que quelques illuminés croient la trouver dans le calendrier maya. Ils ont juste oublié de mettre en entier la date de l’année... Et oui, soyons logiques : on additionne tout ou on n’additionne pas. Et si l’on additionne tout voici le résultat : 11/09/2001 + 11/3/2011 = 22/12/4012. Cela ne fait que 2‘000 ans de différence ! (Ici on place des rires virtuels).

D’autres tirent quelques versets du nouveau testament : « Une nation s'élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume ; il y aura de grands tremblements de terre, et, en divers lieux, des pestes et des famines ; il y aura des phénomènes terribles, et de grands signes dans le ciel (Luc, 21, 10-11) ».

Le problème est que ce n’est pas du tout, mais pas du tout nouveau ! L’apocalypse durerait depuis des milliers ou des millions d’années. Pas sérieux.

Selon un pasteur évangélique américain, Cécil Boswell, il y aurait de plus en plus de tremblements de terre, ce qui serait un signe envoyé par Dieu. « Faux, répond l'Institut géologique américain, qui affirme que le nombre de séismes majeurs est « relativement stable » sur les 100 dernières années, proche des prévisions de 18 annuels supérieurs à 7.0 sur l'échelle de Richter. S'il y a une hausse du nombre de victimes, c'est que les populations dans les zones à risques sont bien plus nombreuses qu'au siècle dernier, explique l'USGS. Sans compter qu'à l'heure de Twitter et des smartphones, le bruit médiatique des catastrophes explose. »


Le stress des uns

Alors que les japonais restent zen malgré leur douleur, à l’étranger on vocifère, on s’admoneste, on stigmatisme les dirigeants. Le monde est forcément dirigé par des cons, manipulé par des salauds qui frottent leurs semelles sur notre dos, il est l’enjeu de multiples complots mêlant en vrac les illuminatis, les francs-maçons, la CIA, les lobbys en tous genre, etc, etc.

C’est l’occasion de se défouler, de cracher les frustrations, d’exprimer ses flips, de mélanger l’état du monde avec la politique de gauche ou de droite selon son appartenance. L’avenir est pourri, le passé est derrière nous, et le présent n’en mène pas large. Allez, fouettons-nous, fouettons-nous encore !

Et il y a de quoi se fouetter et se faire peur. Le nuage radioactif va passez sur l’Europe : vite des comprimés d’iode ! Alors qu’il sera très probablement inoffensif à ce moment-là. Et l’iode, préventivement, cela ne sert à rien. De plus cela protège - éventuellement - d’une des formes de cancer, pas des autres. Donc si vous n’avez pas le cancer de la thyroïde, vous aurez peut-être celui du foie ! Et puis les français n’ont rien à craindre : on sait depuis Tchernobyl que les nuages radioactifs contournent les frontières...


Le galop des autres

Cette crise actuelle révèle le niveau de stress dans la population. Et cela part souvent dans tous les sens, avec grosses angoisses, insultes, bref certains donnent franchement dans la démesure. Parce qu’une colère, ok, mais quand on lit certains commentaires sur les forums du net on n’est plus dans la légitime colère ou la compréhensible angoisse.

Dans ceux qui galopent ou qui surfent sur la catastrophe actuelle, il y a un physicien nucléaire suisse, Pierre Lehmann. Ses propos rapportés dans le quotidien Le Matin sont étonnants. Dans les années 1950 il était pour le nucléaire. Aujourd’hui il chauffe sa maison au bois. Je ne sais pas si son bois lui génère de l’électricité, ni combien de gens peuvent se chauffer au bois.

« J’étais imprégné du discours ambiant de l’après-guerre, où l’on se disait qu’il nous fallait beaucoup d’énergie pour se développer. Et j’ai avalé les bobards du miracle nucléaire : très peu de matière pour énormément d’énergie. Je suis même allé jusqu’à défendre le projet pilote d’une centrale sous l’Ecole polytechnique de Zurich ! Aujourd’hui, je plaide coupable : nous n’aurions jamais dû commencer à exploiter l’atome. »

Comme beaucoup, de bonne foi il a été pour. Aujourd’hui il plaide coupable. Mais coupable de quoi ? Que vient faire la culpabilité ici ? Veut-il la transmettre et rendre coupable le monde entier avec lui ? Il a été pour le nucléaire, il a changé d’avis : pas besoin de se renier pour autant en se déclarant coupable. Et s’il a cru aux « bobards » c’est sa responsabilité. Personne ne lui a mis le pistolet sur la tempe. Quelle détestable attitude que de rendre les autres responsables de ses propres choix - ou de ses erreurs. « C’est la faute aux autres, c’est le système, c’est l’oligarchie, c’est les illuminatis, c’est les extraterrestres ! ». Comment donner du crédit à quelqu’un qui se renie et qui ne peut tenir un discours raisonné en faisant la part des choses ?

On a aussi, à Genève, une femme maire, Sandrine Salerno, qui s’est faite remarquer il y a deux semaines pour avoir tenu des propos particulièrement sexistes contre les hommes et contre certaines femmes dans un journal. Veut-elle faire oublier son dérapage et corriger le tir en vue des prochaines élections, où son mandat sera remis en jeu ? Toujours est-il qu’elle veut écrire une lettre aux autorités suisses pour les enjoindre à renoncer au nucléaire. Elle ne dit pas comment à part quelques généralités vagues. On est là devant l’étalage impudique de l’opportunisme politique.


Le niveau de stress collectif

Ces deux exemples sont ceux du jour mais il y en a d’autres.

Sur la question de la fin du monde, il y aurait eu de quoi y croire avec l'éruption du Krakatao en 1883. Mais il n'y avait pas encore la chambre d'écho médiatique immédiate : télé, radio, internet, pour amplifier et rapprocher de nous les catastrophes. Plus encore en 1815 l'explosion du Tambora en Indonésie changea le climat et 1816 et est connue dans l'hémisphère nord comme l'année sans été. La famine tua 200'000 personne en Europe.

Revenons un peu sur Terre. L'un des problèmes que pose le nucléaire est sa dangerosité à long terme (j’inclus la question des déchets) et le fait que le risque n’est pas entièrement maîtrisé. On le constate pour la troisième fois avec l’accident de Fukushima.

Mais il faut aussi remarquer que les trois accidents graves depuis le début du nucléaire civil sont dus à des facteurs humains. J’inclus dans ce facteur humain le fait que pour la centrale de Fukushima les constructeurs n’ont pas pensé à un risque naturel de cette gravité, dans un pays où pourtant ils sont possibles. Il y a eu d’autres incidents sur diverses centrales mais jamais de nature à mettre en danger durablement la santé de populations nombreuses et de condamner des territoires. A l’échelle planétaire, ce n’est rien d’imaginer un territoire inhabitable pendant 30‘000 ans. Les chocs géologiques du passé ont rendu impraticables d’immenses territoires voire la Terre entière, et ce pendant de très longues périodes. La planète s’en est toujours remise. Mais à l’échelle humaine, 30‘000 ans c’est très long. C’est le temps qui nous sépare de la fin de l’homme de Néandertal.

Le niveau actuel de stress tel qu’on le voit dans les médias et les forums est très élevé. La réactivité émotionnelle prend le pas sur la rationalité. Mais que peut-on dire rationnellement ?

Que le degré de dangerosité du nucléaire dépasse la notion de risque raisonnable - toutefois il faudrait redéfinir le risque raisonnable et le point d’équilibre entre avantages et risques. La rupture d’un barrage hydro-électrique peut tuer des milliers de personnes et raser une ville. Mais la vie peu y reprendre relativement rapidement. On peut dire que le degré de maîtrise de la technique ou de contrôle ne sont pas satisfaisants. Que la question de la dépendance énergétique demeure. Que la rentabilité d’un réacteur est sujette à critique.

Mais ne peut-on pas faire la part des choses ? Ne peut-on inclure dans une réflexion ce qu’il a d’utile ? Pour ma part je me refuse à faire un choix sur la seule impulsion émotionnelle. J’ai besoin de connaître rationnellement le pour et le contre. Je souhaite arriver à une vision concertée non partisane et non clivée. Il y a des pays où le clivage mental fait partie de la culture. C’est le cas en France. Moi je m’y sens trop enfermé.

Sortir du nucléaire, si cela se fait, prendra quelques décennies. On a donc le temps d’ouvrir de vastes et longs débats. Pour que ces débats soient réellement utiles à l‘humanité et que les choix se fassent en connaissance de cause, on ne peut pratiquer comme actuellement une politique de l’émotion et du stress collectif.

Il est donc urgent de prendre le temps de réfléchir, quelle que soit la gravité de l’accident au Japon.


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