Le capitalisme au XXIème siècle

par Bruno Hubacher
jeudi 6 juin 2024

Si les citoyens de ce pays comprenaient le fonctionnement de notre système monétaire et bancaire, il y aurait une révolution avant demain matin. Henry Ford (1863 -1947)

Des révolutions le monde en a connu, avant et après Henry Ford, (1) (2) la question reste néanmoins curieusement absente du débat politique. Serait-ce par méconnaissance ou par inhibition ? Toujours est-il, selon un sondage, effectué en 2017, par l’ONG britannique « Positive Money », 85% des parlementaires britanniques sont totalement ignorants en la matière.

Pour l’humoriste politique allemand, Volker Pispers, la création monétaire est une « fantaisie » et pour le penseur genevois du 18ème siècle, Jean-Jacques Rousseau (1712 -1778) « un des privilèges au profit de particuliers à la charge de la nation » en ajoutant » Je les comprends bien. Ils nous expliquent qu’il est infiniment complexe leur système et que le profane ne peut le comprendre. Ils utilisent un langage obscur, afin que nous n’en parlions point et n’osions point leur contredire. Ils nous parlent de ressorts mystérieux que l’on nous dit profonds, de peur que nous tentions de les découvrir dans leur simplicité. (3) » Fin de citation 

Que ce « système » cause des injustices et des inégalités, même les économistes de l’école néoclassique commencent à l’avouer, à demi-mot, tout en continuant à s’accrocher bec et ongles au dogme du « marché libre et non faussé », et, au plus tard depuis la parution du bestseller « Le Capital au XXIème siècle », publié en septembre 2013 par l’économiste français, Thomas Piketty, on dispose d’une mise en perspective historique de la question, analyse d’ailleurs âprement critiquée à l’époque de sa sortie par tous les quotidiens et hebdomadaires économiques en vue.

Entre-temps, Thomas Piketty, pour sa part, s’est, fait embaucher comme chroniqueur par le quotidien « Le Monde », ce qui a peut-être tempéré quelque peu son indignation (4). Toujours est-il, le sémillant économiste parle aujourd’hui d’une « anomalie systémique du capitalisme non régulé » et préconise, en guise de solution, « un impôt mondial sur le capital », « solution » qui avait déjà été proposée par le lauréat du Prix Nobel de l’économie, James Tobin, il y a 50 ans. Peu importe. La « proposition » plaira aux propriétaires du « Monde » et sans doute également à ses lecteurs, d’autant plus que Thomas Piketty se distancie clairement des thèses radicales de Karl Marx (1818 -1883) et de sa critique du capitalisme, système économique et social voué à son autodestruction, thèse, qu’il ne trouve finalement « pas très intéressante ». Ouf ! Les « plus grands fripons qui ont toujours l’intérêt à la bouche » (Jean-Jacques Rousseau) ont de beaux jours devant eux.

Le journaliste allemand Jens Berger sort actuellement le sien de livre sur la question, une version revue et corrigée de sa précédente édition, datant de 2014, sous le titre « Wem gehört Deutschland ? Zehn vertane Jahre », à qui appartient l’Allemagne, 10 ans de ratages. (5)

L’ONG britannique Oxfam, encore elle, constate, dans un récent rapport, que la moitié de la plus-value, réalisée par l’économie mondiale pendant les dix dernières années, fut accaparée par 1 % de l’humanité, une évolution qui s’est encore accélérée dernièrement. En deux ans, grâce aux généreuses enveloppes financières des banques centrales dans le cadre de la gestion du Covid par les pouvoirs publics, dans le but de « parer aux effets dommageables à l’économie » (6) cette part s’est encore accrue, à 63 %, ou 26 billions USD (26'000 milliards USD).

Il eut été judicieux de rapatrier ce cadeau immérité, en augmentant de façon significative l’impôt sur le revenu du capital, afin de réalimenter les trésors publics et de procéder à des investissements d’intérêt public, ô combien nécessaires, dans le domaine de la santé par exemple, et, pourquoi pas, dans les infrastructures, devenues désespérément désuètes, après 40 ans de néolibéralisme. Il eut été. Il n’en fut rien, bien entendu.

Ainsi, les problèmes sociaux continuent à s’accroitre. Rien que pendant la deuxième année de la pandémie du Covid, l’année 2021, le taux de pauvreté en Allemagne a augmenté de deux points à 16,9 % de la population, ou 14,1 millions d’allemands, 840’00 de plus qu’avant la pandémie, un record. Selon une estimation de l’association allemande des caisses d’épargne dans un avenir très proche 60 % des ménages allemands ne seront plus en mesure de faire des économies. En 2021 ce chiffre était encore à 15 %. 

Dans ses observations sur l’ordre social de la France du 18ème siècle, ce « siècle de charlatanerie » son plus féroce critique, Jean-Jacques Rousseau, encore lui, déclara « Tout cet ordre social prétendu qui couvre les plus cruels désordres. Comment voulez-vous que l’on admire une société où le profit est en raison inverse du travail ? » Et à la bourgeoisie montante qui rétorqua « Il ne faut pas que les pauvres protestent contre le luxe, puisque le luxe les fait vivre. Qui d’autre ferait des commandes aux artisans du Faubourg Saint-Antoine que la brillante société parisienne qui a besoin de très beaux meubles ? » Rousseau répondit : « Le luxe nourrit peut-être cent pauvres dans nos villes, mais il en fait périr 100'000 dans nos campagnes. » fin de citation. D’ailleurs, ce concept, dont les économistes néolibéraux contemporains sont tout à fait coutumiers, s’appelle aujourd’hui la « théorie du ruissellement » ou « trickle down economics ». Ce n’est pas plus efficace qu’au 18ème siècle, mais c’est très vendeur.

Les programmes d’aides publiques en faveur de l’économie privée par les banques centrales et les pouvoirs publics dans le cadre de la gestion du Covid ont littéralement fait exploser la masse monétaire en circulation, alimentant du coup, à nouveau, les marchés financiers qui, actuellement se trouvent tous à des niveaux records, au même titre que l’endettement des états, avec, comme conséquence logique, une inflation galopante pour le commun des mortels. (7) Rien de bien étonnant. On peut considérer cette « opération » comme le transfert de richesses le plus important dans l’histoire de l’humanité en faveur des plus fortunés, et ceci en l’espace d’à peine trois ans. (6)

Comment maintenir en vie, dans ces circonstances, un système économique et social, désormais totalement déconnecté des réalités, empêtré dans ses propres contradictions, sous assistance respiratoire à l’aide de la planche à billets ?

Par la guerre permanente, décrite dans le roman dystopique « 1984 » de l’écrivain britannique, Eric Blair, alias George Orwell, et une emprise psychologique totale du commun des mortels, exercée par le capital global, sur tous les domaines de la vie, notamment ceux touchant à l’organisation économique et sociale, et dont la première cible est l’éducation et le savoir.

Ainsi, la nouvelle définition, revue et corrigée, adaptée à l’air du temps, du terme « science » par l’encyclopédie numérique « Wikipedia » se lit comme suit : « dans son sens premier la somme des connaissances et plus spécifiquement une entreprise systématique de construction et d'organisation des connaissances sous la forme d'explications et de prédictions testables » Que la science soit censée faire des « prédictions testables », c’est nouveau. « Sous l’ancien régime » le terme « science » se définissait plutôt comme suit : « l’observation de phénomènes naturels et la tentative d’en déduire des généralités, communément acceptées jusqu’à réfutation partielle ou complète ». La nature « est », tandis que l’homme « devient », et non l’inverse.

Maximilien de Robespierre, candidat aux élections des états généraux, prononça cette phrase devant ses pairs en l’an 1789 : « La plus grande partie de nos contemporains est aujourd’hui réduit par l’indigence à ce dernier degré d’avilissement où l’homme, uniquement préoccupé de survivre, est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donné. »

  

  1. https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/liberte-s-251132
  2. https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/coup-d-etat-247807
  3. L’économie expliquée en « novlangue » | Le Club (mediapart.fr)
  4. https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bill-et-sa-weltanschauung-237530
  5. Wem gehört Deutschland ? Zehn vertane Jahre (nachdenkseiten.de)
  6. https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/monetarisme-231734

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/inflation-232941


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