A quand une démocratie adulte ?

par Vincent Perrier-Trudov
mercredi 23 juillet 2008

C’était serré, mais elle est passée. La réforme de la Constitution a été adoptée sur le fil, dans une ambiance de psychodrame typiquement française, mais elle est passée quand même, et c’est cela qui compte. Mais dans quelles conditions ?

On va pouvoir ergoter longtemps, sur la maîtrise partagée de l’ordre du jour entre le Parlement et le gouvernement, la discussion sur le texte amendé par la commission, la limitation de l’usage du 49-3, l’encadrement de la procédure d’urgence, la règle d’or budgétaire - à la rédaction timide, mais qui a le mérite d’exister.

Mais l’essentiel est ailleurs. Quand est-ce que la classe politique se décidera enfin à voter sur le fond des textes et non en fonction de la "victoire" que l’on rêve d’obtenir ou de la "défaite" politique que l’on rêve d’infliger à son adversaire ?

Le pire dans tout cela est que cette dramaturgie a été prévue et organisée dès le début. Inventaire des manœuvres pour torpiller le projet :

Acte 1 : demander à la majorité des concessions dont on sait à l’avance qu’elle ne peut pas les accepter, tout en se moquant de savoir si ces concessions relèvent de la Constitution.

Acte 1.1 : demander la révision du mode d’élection des sénateurs. Le mode d’élection des sénateurs n’est pas fixé par la Constitution, il ne l’a jamais été. Pour quelle raison celui-ci aurait-il dû être discuté lors de ce débat ? La question est d’autant plus biaisée qu’elle se résumait - au vu des résultats des élections locales des dernières années, ni plus ni moins à "changer le mode de scrutin des sénateurs pour qu’on soit sûrs de prendre la majorité au Sénat, que ce soit cette année ou en 2011".

Acte 1.2 : demander la limitation de la parole du président de la République dans les médias, en confondant son temps de parole avec celui de la majorité parlementaire. Outre qu’il n’y a pas que deux camps dans une démocratie - et donc que les nuances politiques vont bien au-delà du binaire majorité/opposition ("gentils"/"méchants" en fonction de l’endroit où l’on se situe) - ce sujet n’avait lui aussi aucune place dans un débat sur les institutions.

La ficelle était un peu grosse. Non seulement fallait-il que la droite offre le Sénat sur un plateau d’argent à la gauche, mais ce n’était pas suffisant, il fallait en plus bâillonner le président ? Comment un parlementaire de droite pouvait-il accepter des conditions pareilles ?

Acte 1 : demander des concessions impossibles - étant bien orchestrée, la gauche pouvait passer à la phase suivante.

Acte 2 : fustiger le manque d’ouverture de la majorité et justifier de la sorte un vote d’opposition non pas sur le texte, mais sur le président de la République.

Et là, la machine médiatique, que les socialistes savent mine de rien très bien manier, tourne à plein régime. Un même argumentaire, répété à l’envi par tous les responsables sur l’ensemble des médias, pour occulter un fait pourtant indéniable : une très grande partie du contenu de cette réforme a été défendue pendant de nombreuses années par le Parti socialiste.

Et c’est là où l’on tombe dans le paradoxe le plus total : l’opposition à la personne du président de la République, lors de l’examen d’un texte, alimente le phénomène que l’on prétend combattre : l’omni- (ou l’hyper-, c’est selon) présidence.

En se prononçant pour ou contre un homme politique, et non pour ou contre les textes en discussion, on renforce la personnalisation de la politique. On donne la primauté à l’individu sur les lois, à la posture plutôt qu’au contenu. La loi devient la chose d’un homme ou d’une femme. Si on l’aime bien on vote pour, si on ne l’aime pas on vote contre.

Et comme une posture n’existe que par l’apparence, elle entraîne ceux qui la manient vers une autre posture, destinée à masquer la posture précédente en détournant l’attention. De postures en impostures, on s’enfonce dans le vide.

Acte 3 : dénoncer les marchandages et les pressions que l’on a rendus inévitables chez son adversaire, et que l’on utilise allègrement dans son propre camp.

Cela permet de se préparer, malgré tout, à avoir le beau rôle. Si la réforme passe, elle est entachée de manœuvres irrégulières, et si elle échoue, c’est grâce au combat héroïque mené par les chevaliers blancs de l’opposition.

La réalité est loin de cette fiction.

Si besoin en était, le déchaînement de violences verbales sur Jack Lang permet de mesurer à quel point les pressions ont été fortes dans le camp des socialistes. Les loups sont lâchés sur celui qui a eu l’outrecuidance d’oser voter pour une réforme qu’il a contribué à bâtir.

Moins médiatique, mais tout aussi fort, le vote contre la réforme des 14 députés PS signataires de la tribune publiée dans le journal Le Monde. Ils avaient appelé à voter pour, les voilà contraints de passer par les fourches caudines du vote du groupe. "Nous avons voté contre, mais nous étions pour". Voilà un message politique clair qu’il sera facile de faire comprendre aux électeurs.

Face à cela la droite était bien obligée de faire bloc, et la France a donc, une fois de plus, raté une occasion d’avoir de la part de ses représentants une attitude politique responsable.

Nous restons depuis trop longtemps embourbés dans ce système où il est plus important d’infliger un revers médiatique plutôt que d’enregistrer une avancée démocratique.

Tant que nous ne changerons pas cette façon de faire, nous resterons des enfants capricieux, adeptes du tout ou rien, incapables de faire la part des choses, incapables de comprendre qu’une petite avancée tout de suite est toujours préférable à un hypothétique grand bond en avant cinq ans plus tard.

A quand, une démocratie adulte ?

Vincent Perrier-Trudov

http://vincentperriertrudov.wordpress.com


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