Effet de serre : il faut agir, des propositions à débattre

par Marie-Noëlle Lienemann
mercredi 6 septembre 2006

La France a pris des engagements en ratifiant le protocole de Kyoto. Elle s’est engagée à limiter ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2008-2012 au niveau de 1990, soit environ 104,5 Mt C (millions de tonnes de carbone) pour le seul CO2. Le scénario tendanciel témoigne d’un dépassement de ce niveau d’environ 24 Mt C, soit +23 %, en 2010, porté à 50 Mt C, soit +47 %, en 2020. Les plans, séminaires, programmes d’action divers et variés n’ont pas abouti à la révolution verte dont nous avons besoin. Par ailleurs, il est temps de préparer l’après pétrole. Il faut donc changer de méthode, de rythme, et dégager les moyens nécessaires.

La méthode.


- Une culture partagée plutôt que des politiques qui misent tout sur la contrainte, la culpabilisation générale. Créer de l’adhésion d’abord, et les bons réflexes.


- Faisons de la lutte contre l’effet de serre un grand défi collectif pour la France. Il doit servir de catalyseur à la mobilisation générale, expliciter les enjeux, impliquer les collectivités locales, les branches industrielles, les ONG et les citoyens autour d’objectifs concrets, précis et datés. Ce dernier point est essentiel pour la crédibilité. Chacun doit prendre sa part et s’engager. 

 

-Des soutiens pour la recherche et des politiques industrielles innovantes dans le développement durable et l’énergie.


- Un État exemplaire ; toutes les collectivités et entreprises publiques doivent donner l’exemple, être pédagogiques, et convaincantes sur les bonnes pratiques. La commande publique doit orienter notre production et nos services.


- La France doit devenir une des meilleurs élèves et un acteur reconnu des politiques européennes de l’environnement et de la lutte contre l’effet de serre. Sur ces sujets, l’UE a édicté des directives intéressantes, mal connues, et peu appliquées.

La seule façon de relever ce défi et de tenir nos engagements est une loi de programmation, avec des outils nouveaux, des moyens conséquents et des obligations claires en économie d’énergie, en réduction de gaz à effet de serre pour chacun. Un suivi annuel au Parlement permettra de mesurer si nous atteignons les objectifs, et comment améliorer le dispositif si besoin. Ce pilotage public par objectifs devra être décliné dans chaque collectivité locale et en particulier dans les régions, avec un plan régional de l’énergie et de la lutte contre l’effet de serre.

QUELQUES ÉLÉMENTS DE CONTENU.

1- UN PLAN « MINERGIE »

Le premier pilier d’une lutte contre l’effet de serre est l’économie de l’énergie. Les Suisses du canton de Genève ont engagé un plan Minergie qui devrait nous servir de modèle, qui oblige chacun à réduire sa consommation, mais dispense des conseils efficaces et apporte si besoin des soutiens financiers. Une large part de ce plan concerne les bâtis, le logement (près de 40% de l’effet de serre). Un site développe cette démarche www.minergie.ch. S’agissant de la construction, la réglementation thermique pour 2006 concerne le neuf. Il y a un énorme enjeu sur l’ancien. Les différents labels, incitatifs et dispersés, ne permettent pas de faire le bond technologique et énergétique qui s’impose.


- Je suggère que nous recrutions et formions 3000 personnes à devenir des « diagnostiqueurs et des conseils en énergie » qui iraient gratuitement chez tout habitant et auprès des TPE pour les inciter à réduire leur consommation énergétique (isolation, gestion plus rationnelle, énergie alternative ...) et les conseiller.



- Création d’un prêt à taux zéro pour tous les particuliers sur l’ensemble des dépenses qui permettent de réduire la consommation énergétique. La CDC devrait utiliser les fonds d’épargne et une partie des ses dividendes.


- Pour les plus modestes, éventuellement une prime de solidarité écologique, qui compenserait le différentiel entre le remboursement du prêt et l’économie d’énergie réalisée. Le but est des opérations blanches pour les plus modestes. L’Anah pourrait être mise à contribution.


- La subordination des aides aux critères « Minergie ». Toutes les aides publiques devront être octroyées sous conditions énergétiques (HLM, Anah, avantages fiscaux). Cela soutiendra les bonnes pratiques.


- Restaurer des crédits de réhabilitation du logement social- Palulos- (ils sont désormais réservés à l’ANRU) pour mettre les HLM anciens aux normes Minergie.

- Un plan national « chauffe-eau solaires » pour que ceux-ci se généralisent dans le pays. Un accord pourrait être signé avec les régions, les bailleurs sociaux, les promoteurs. Une prime forfaitaire pourrait être versée par chauffe-eau, car ce n’est pas encore équilibré aisément et surtout tout le monde n’a pas la mise de fond (retour point PTZ aussi). Il faudrait généraliser ce genre d’aide en Corse, où par ailleurs l’approvisionnement énergétique est difficile.

- Relancer l’usage du bois dans le bâtiment (le décret actuel est trop modeste).
Je pense qu’on pourrait imposer 20% en bois, et relancer la filière nationale (le bois stocke le CO2).

- Chaque collectivité locale et entreprise publique devra présenter un plan de mise aux normes Minergie tous ses bâtiments, et un bonus-malus pourra être instauré sur la DGF pour soutenir les bons élèves et sanctionner les négligents.

- Un plan de 1000 maisons à énergie positive. Ces innovations se développent très vite en Allemagne (Fribourg en Brisgau) et portent de nouvelles technologies. La FFB et la CAPEB pourraient être associées pour gérer ce programme et un centre de transfert de technologie pourrait y être adossé (ou un pôle de compétitivité).

- J’attire votre attention : plan de cette nature doit être accompagné d’un soutien à de nouvelles filières industrielles et technologies françaises, et l’édiction des normes en particulier thermiques peut être utilisée pour leur émergence et leur viabilité. Un exemple : Saint-Gobain a créé un verre à faible émissivité, qui rend une baie vitrée aussi protectrice qu’un gros mur. Il en vend partout, en Europe du Nord... Mais peu en France, parce que nos normes ne soutiennent aucune filière, aucun matériau. Or les Allemands le font !


- Les surcoûts sont à relativiser, le débours de l’assurance construction est supérieur chaque année à un milliard d’euros ! Alors l’enjeu de la qualité dans le bâtiment est majeur. On doit réduire ces gaspillages et les réinvestir dans le développement durable. Les professionnels de la conception, de la construction, de la gestion devront être associés à cette ardente obligation ! J’avais lancé une conférence nationale permanente, « Habitat et développement durable », qui avait ce but. La haute administration a tardé ! La droite l’a abandonné. On peut reprendre l’idée sous la forme d’une conférence nationale permanente « Minergie »

2- UNE STRATÉGIE NATIONALE DE L’ECO-CONCEPTION


- Dix fois mois d’énergie et quatre fois moins de matières premières pour nos produits !
Le Japon a lancé une stratégie nationale afin que ses produits et ses services consomment dix fois moins d’énergie et quatre fois moins de matières premières. 14 000 produits répondent déjà à cet éco-profil. Nous pourrions relever le même défi, créer un Centre national de l’éco-conception, associer les industriels et financer des recherches, en particulier pour les nouveaux matériaux.

3- UNE FILIÈRE HYDROGÈNE

Il faut voir loin et financer un grand programme « hydrogène », si possible avec nos partenaires européens.


- Du CEA au CEAH !
Pourquoi ne pas élargir les missions du CEA pour qu’il fédère un réseau de laboratoires autour de cette filière énergétique ? Nous devons faire avec l’hydrogène ce que le pays a fait hier avec l’atome. Sur ce sujet, l’investissement du pays devra être durable. Nous avons eu tort d’abandonner l’idée de planification. Pour l’environnement, c’est le long terme qui doit être préparé. La gauche doit réinventer une nouvelle politique de planification, au moins pour l’énergie et la gestion des ressources naturelles.
Les USA ont lancé un grand programme et l’UE devrait retenir ce sujet dans ses plates-formes technologiques du 7e PCRD.

4- LES ÉNERGIES RENOUVELABLES :

1- Le retour d’EDF à capital 100% public a comme contrepartie un engagement fort de l’entreprise sur des missions fixées par la nation : tarifs, égalité géographique, transparence dans la gestion nucléaire et obligation de produire à une échéance proche 20 % (ou 15 % car on peut agir sur d’autres paramètres) de son électricité en renouvelable. Si l’État est ferme, EDF fera, ses ingénieurs sont très qualifiés et savent être innovants.
Le message doit être clair : une mission de service public, désormais, c’est aussi la lutte contre l’effet de serre. Et c’est vrai pour tous les cahiers des charges des services publics. (On peut aussi mobiliser EDF-GDF sur les économies d’énergie avec des obligations de résultats..)

2- Un plan d’intérêt général en faveur de l’énergie solaire, où nous avons un retard crasse, surtout avec notre ensoleillement.
J’ai déjà parlé plus haut des chauffe-eau solaires, il faut développer des recherches : par exemple, les climatiseurs à énergie solaire (EDF pourrait financer, vu ses problèmes en temps de canicule), il faut aussi développer les micro-centrales solaires, éventuellement prendre des régions tests avec des établissements publics dédiés au développement du solaire.
Les collectivités locales devraient avoir une part de leur consommation énergétique en solaire. Pourquoi ne pas créer une bourse d’échange, entre collectivités locales, de « permis solaires » ? Ainsi celles qui feraient de gros efforts pourraient être compensées par celles qui n’en font pas (on peut faire du soleil au Nord !).

5- LES TRANSPORTS

-On pourrait immédiatement rendre obligatoire le renouvellement systématique de tous les véhicules utilisés par les administrations, entreprises et collectivités publiques, avec des technologies propres.


- Il est urgent de relancer les investissements publics en faveur des transports en commun (c’est particulièrement vrai pour les banlieues et grandes périphéries où se trouvent posé un problème d’offre à la fois de transport et de coût - singulièrement en région parisienne) et du ferroutage. Tout projet ANRU doit être complété d’un programme de transport en commun avec des investissements d’État à la clé.


- La taxation des transports de fret, et particulièrement de transit grande distance, est essentielle. La France doit agir pour que cette taxation soit décidée au niveau de l’Union européenne. La taxation des transports maritimes est une urgence écologique, elle devrait être engagée au niveau international (le mieux) ou communautaire (taxation portuaire) pour casser cette logique de délocalisation de la production au motif du dumping social et fiscal, avec des conséquences dramatiques pour l’effet de serre. Ces ressources nouvelles doivent être toutes utilisées pour de vastes programmes d’investissements. Un grand emprunt national et européen dégagera les moyens complémentaires nécessaires à ce grand plan, qui aura de surcroît un impact important sur la croissance.

Il faudrait aussi parler des nouvelles normes automobiles (Euro V), du développement des véhicules hybrides, de l’accélération du renouvellement du parc (fort impact car les nouvelles réglementations sont énormément moins polluantes), développer des programmes de recherche pour des véhicules plus légers tout en étant sûrs. On ne peut admettre que l’amélioration des normes soit rattrapée par un alourdissement des véhicules, et en fin de compte par une pollution globale qui régresse peu, voire pas du tout.

Mais là comme ailleurs, commençons par ce qui fait le plus consensus, ce qui dépend de la puissance publique, qui aura un effet d’entraînement et modifiera ensuite les comportements et la compréhension de la nécessité d’efforts individuels complémentaires.


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