Hadopi : une loi triplement inutile et stupide
par Christian Vanneste
vendredi 10 avril 2009
Alors que la loi Hadopi vient d’être rejetée par l’Assemblée Nationale, il est peut-être utile de comprendre pourquoi il s’agit d’une loi totalement inutile et stupide.
Les téléchargements d’œuvres musicales ou audiovisuelles ont continué à croître. Certains en ont tiré la conclusion que la cause en résidait dans l’absence de réponse graduée. Denis OLIVENNES, dans un rapport commandé par le Gouvernement, a donc proposé une réponse graduée fondée sur la suspension de l’abonnement internet. C’est cette mesure que la loi Hadopi est destinée à mettre en œuvre.
Je n’ai pas voulu participer au débat consacré à ce projet de loi dans la mesure ou j’estimais qu’en tant qu’ancien rapporteur, il aurait été particulièrement inélégant de critiquer en séance l’appendice de la loi que j’avais moi-même soutenue. Je ne l’ai fait toutefois qu’à une occasion : la consternante fermeture d’esprit du Ministre et du rapporteur s’opposait à l’amnistie des internautes poursuivis pour de simples téléchargements au nom de la loi précédente qui, faute de réponse graduée, continuait à assimiler ceux-ci à des contrefaçons punis théoriquement de 300 000 € d’amende et de 3 ans de prison. Après mon intervention, l’amendement instituant l’amnistie a été voté. C’était une mesure d’équité et de bon sens. Je suis attéré de voir que la Commission mixte paritaire (CMP) a annulé cet amendement, de même qu’elle a rétabli le paiement de l’abonnement internet par la famille abonnée durant sa suspension. Il s’agit là de provocations inutiles qui révèlent malheureusement l’état d’esprit dans lequel a été voté ce texte.
Ces mesures me libèrent totalement de mon devoir de réserve. La loi Hadopi est une loi triplement inutile et stupide :
- Inutile et stupide d’abord, parce qu’elle ne prend pas la mesure de l’évolution des techniques et des pratiques. Les esprits les plus enclins à penser la prospective, Joël de ROSNAY, dans La révolte du pronétariat, ou Jacques ATTALI, ont souligné combien les lois dans ce domaine étaient incapables de prendre en compte la rapidité des innovations, haut-débit, sans-fil, explosion des blogs, peer-to-peer par bittorrent, podcasts, streaming etc… La loi n’est pas encore votée qu’elle a été dépassée, contournée, ridiculisée ! Qui plus est, ce progrès s’accompagne de nouveaux comportements, et d’un nouveau rapport à la création, de plus en plus collective, de plus en plus issue du partage et à la diffusion de plus en plus considérée comme la satisfaction d’un besoin aussi nécessaire, quotidien, et quasiment gratuit que l’accès à l’eau courante…, comme en témoigne la multiplication des sites gratuits, en fait financés par la publicité, comme Deezer, ou pratiquant enfin, mais un peu tard, des tarifs attractifs, comme FilmoTV. Cette loi réintroduit donc une rareté artificielle dans un monde qui peut être celui de l’abondance.
- Inutile et stupide ensuite, parce qu’elle s’expose à la censure du Conseil constitutionnel, et à défaut de celle-ci, elle introduit des conséquences juridiques inacceptables. En effet, la suspension d’abonnement va priver toute une famille de l’usage global d’internet pour le téléchargement opéré par un de ses membres. Son application avant 2011 va créer une rupture d’égalité devant la loi entre les régions dégroupées et celles qui ne le sont pas. Elle va bien évidemment, et les réticences de la CNIL et de l’ARCEP l’ont bien montré, limiter la liberté des internautes. La diversité des choix opérée par des pays comme l’Italie, qui risque de suivre la France, le Canada, qui bride l’usage des réseaux, le Royaume-Uni qui a déjà abandonné la riposte graduée adoptée durant l’été 2008, les États-Unis qui refusent toute coupure d’accès, conduit à une disparité, à une dentelle qui fera du réseau français un dispositif aussi utile que nos frontières pour nous protéger du nuage de Tchernobyl… La Ministre de la Justice allemande a déclaré que le blocage de l’accès à internet était une sanction tout à fait inacceptable et les députés européens ont voté un rapport selon lequel la coupure d’accès violait le droit à l’éducation. Ils avaient également souligné la nécessité pour la suspension de l’accès de recourir aux tribunaux et non à une simple décision administrative, autre motif d’une annulation par le Conseil constitutionnel.
- Inutile et stupide enfin, parce qu’elle va dans le contexte économique et financier actuel provoquer une nouvelle dépense improductive de 70 millions d’euros qui va peser sur l’industrie des fournisseurs d’accès pourtant si nécessaire à notre dynamisme économique, à moins que ceux-ci ne reportent ce coût sur les abonnés. On trouve ici la même conséquence intempestive que pour la loi sur l’audiovisuel, qui avait aussi abouti à une augmentation de la redevance (Copé a du manger son chapeau…) et à des taxes nouvelles.
Hadopi restera dans les mémoires, comme cette loi présomptueuse qui aura voulu atteindre l’horizon, rattraper un progrès qui ira toujours plus vite qu’elle, quand la solution se situe avant tout dans le marché et le contrat, seuls compatibles avec un domaine qui illustre si bien le chaos-créatif propre à la jeunesse et à notre époque, celle où le bricolage inventif d’étudiants dans un garage est à l’origine des entreprises les plus originales et les plus importantes. Sans doute, est-ce en raison du contexte particulièrement libéral d’internet que les socialistes ont voté le texte Hadopi au Sénat et ont fait semblant de s’y opposer à l’Assemblée.