Médecins, une pénurie organisée

par sylvain
mercredi 24 mai 2023

D’inutiles panneaux « cherche médecins » posés en désespoir de cause sur le bord de la route.Cabinets offerts, toutes les factures payées par la mairie, exonérations d’impôts… La danse du ventre des petites communes pour trouver un médecin, qu’il soit français, roumain ou guinéen, a quelque chose de désespérant. On voit même apparaitre des sites proposant aux communes de leur recruter un médecin, moyennant rémunération bien sur. Ceci ne faisant de toute évidence que déplacer le problème.

 

Dans certaines régions, dont la mienne, il devient impossible de trouver un médecin quel qu’il soit : dentiste, spécialiste, généraliste .Même quand vous arrivez a obtenir le précieux rendez vous, vous êtes en général expédié en 2 minutes par un médecin pressé, qui ne regarde a peu près rien et vous facture 20 euros de dépassement d’honoraire. Pourquoi se priver ?? Tel que présenté par les medias il semble que cette pénurie nous tombe dessus tout d'un coup, sans qu'on puisse bien savoir d'ou elle vienne.

 

Techniquement, pas besoin de chercher bien loin l’origine du problème. On ne manque pas de vocations puisque qu’environ 60000 étudiants se présentent pour 8000 places. Le numerus clausus, qui fixe chaque année le nombre de nouveaux médecins admis en formation, a été l’instrument de cette aberration : un pays ou il y a les infrastructure, les vocations, les moyens, l’expérience d’une médecine de qualité et qui se retrouve sans médecins. Un pays ou on aurait pu donner un revenu et une carrière intéressante a des jeunes mais ou l’on se retrouve a faire venir des médecins de Roumanie ou d’ailleurs, ou ils vont de ce fait manquer.

 

Je me suis donc penché sur les personnes, les milieux, les institutions qui ont pris cette décision dramatique . A-t-elle été consciente ou accidentelle, vient-elle des médecins ou des politiques…

 

Petite histoire du numerus clausus

 

A la base de la création du numerus clausus, on trouve la SAEM. Né d’une amicale de médecins cette organisation devient un syndicat (assez confidentiel, il ne comporte qu’une quinzaine de membres) de médecins en 1946. En 68 en réaction aux « évènements » de mai il sort de sa chrysalide. Il se définit alors lui-même comme contre révolutionnaire et entend rétablir l’ordre dans l’enseignement de la médecine, maintenir le prestige de la profession, et combattre la SNESsup, syndicat « révolutionnaire ». Il est a ce moment composé de médecins importants, venus de milieux bourgeois catholiques traditionnels. Ce mot d’ordre connaît un succès fulgurant, il est concrétisé par une mesure unique défendu par le syndicat : instaurer une sélection a l’entrée des études de médecine. Lors des élections de 69 il rafle tous les sièges dans les académies parisiennes et une grande majorité de ceux de province

 

Ce succès s’explique par le militantisme actif de ses membres, leur statut social, une sympathie de beaucoup de médias et de membres du gouvernement hostiles aux mouvement de mai et aussi, certainement, par le fait que la profession a dans son ensemble les mêmes sensibilités que celles des membres de la SAEM. Il s’explique aussi par l’importante augmentation du nombre d’étudiants en médecine (31500 en 1961, 54700 en 1966) et l’abolition du concours de l’externat le 30 août 1968, qui instaurait une sélection en milieu d’études. Ces mesures ont énormément inquiétés le milieu des médecins, on le verra plus tard.

 

La SAEM obtient gain de cause en 1971, année ou la création du numerus clausus est votée.

Il est d’abord fixé sur un nombre important, environ 8500 étudiants par an (il y en a environ 9000 qui se présentent a cette époque). On peut noter que ce chiffre est alors raisonnable compte tenu de l’évolution démographique prévisible et du nombre de candidats. Le concours à l’entrée des études semble aussi plus sensé que celui a la sortie, qui est une perte de temps et 38d’argent pour les étudiants et les institutions.

 

 

Le numerus clausus comme instrument de la pénurie

 

Dans les années 70 la SAEM reste le syndicat majoritaire et ses membres intègrent les institutions médicales et gouvernementales. En 77 s’opère le tournant qui va mener au désastre avec la commission Fougères : elle propose de ramener le numerus clausus a 6000, une baisse de quasi 30%. Simone Veil, ministre de la santé de giscard, l’appuie de tout son poids en martelant qu’il y a trop de médecins, trop d’hôpitaux, trop de dépenses.

 

Les syndicats de médecins semblent a ce moment jouer un rôle important. A part la SNESup, qui dénonce un malthusianisme de la commission Fougères, tous les syndicats de médecins soutiennent cette baisse : la CSMF et la FMF demandent un numerus clausus entre 4000 et 5000, l’ANEMF (syndicat étudiant) soutient alors qu’elle y était opposé, la SAEM soutient aussi bien sur, ainsi que l’ordre des médecins

 

Cet engouement général de la profession pour une raréfaction des médecins s’explique par un discours anxiogène qui est développé par certains médecins, par l’ordre et par des revues spécialisées martelant qu’il y a pléthore de médecins, que les étudiants ne trouveront plus de place pour s’installer. « Pléthore médicale » toute l’année en Dordogne, « installation interdite » en Creuse, dans le Doubs « miracle, quelques places sont disponibles », « taux d’installation maximale » dans l’Eure et Loire, les syndicats parlent de l’obligation de reconvertir 20000 médecins… . Ce genre de discours se généralisent dans la profession. Ils ne semblent pourtant tenir sur aucune réalité dans les faits, et ne se vérifieront jamais . Il est difficile de dire qui a initialisé ce processus mais le résultat est là : les médecins veulent moins de médecins, et le plus vite possible. Les ressorts psychologiques qui ont fais que ça a marché par contre sont faciles à déterminer : on a expliqué en termes catastrophistes a des personnes qui sont censés devenir des élites qu’ils n’auraient tout simplement pas de place, que leur nombre les rendrait communs et remplaçables, qu’ils deviendraient des prolos de la médecine.

 

Par la suite on n’entendra plus trop les médecins, ils ne s’élèveront jamais contre la baisse continuelle du numerus clausus ni ne demanderont de baisse plus importante. Ce sont les politiques et hauts fonctionnaires qui s’en chargeront. Les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, s’entendront tous pour dire qu’il y a trop d’offre de soins (notons que les ministres de la santé sont bien souvent médecins et pontes de l’ordre eux-mêmes). La CNAM, dans une étude publié en 1991, soutiendra l’idée que si il y a trop de dépenses de santé c’est qu’il y a trop d’offre de soins et que tout ça n’a rien a voir avec les besoins des malades . La baisse du numerus clausus sera continuelle jusque dans les années 90, ou il se stabilise autour de 3500 étudiants par an. Compte tenu de l’évolution démographique prévisible à cette période, qui verra forcément un accroissement de la population en nombre comme en âge, il est évident dès les années 80 qu’on organise une grave pénurie de médecins. L’ordre des médecins publie ses études démographiques, qui prévoient une baisse drastique du nombre de médecins à partir de 2010. L’INSEE produit aussi les siennes, qui prévoient une hausse et un vieillissement de la population…

 

Il faudra attendre la fin des années 90 (bien trop tard ) pour que la tendance s’inverse .On se demande un peu pourquoi, les gouvernements de cette époque se mettent a écouter les nombreuses voix qui tirent depuis longtemps déjà la sonnette d’alarme .Le numerus clausus se met donc a ré augmenter, mais tout doucement, alors qu’il est admis par a peu près tout le monde que la situation est déjà catastrophique, qu’il est déjà trop tard pour éviter le massacre.

Ce la se justifie en partie par le fait que la formation de médecins est une formation difficile, qu’il faut former les formateurs… mais tout de même, il n’y a eu aucune mobilisation autour de la question.

 

Qui, pourquoi ??

 

Il y a pas mal de personnages ambigus dans cette histoire, des ministres et hauts fonctionnaires qui jurent tous qu’ils ont pris ces décisions pour sauver la sécu, qu’ on ne pouvait pas savoir ou encore que ce qu’ils ont fais était justifié mais que ça a continué trop longtemps. Gilles Johanet est sûrement le personnage qui a eu le plus d’influence sur cette période : c’est un énarque, conseiller a la cour des comptes, ancien communiste et collaborateur de Mauroy. Il est directeur de la CNAM (c’est lui qui fixe directement le numerus clausus) de 89 à 93 puis de 98 à 2002 et c’est certainement le défenseur le plus acharné de la baisse du numerus clausus. Il finira par se faire virer pour cette raison, étant le dernier a défendre mordicus qu’il y a trop de médecins. Il part alors pantoufler aux AGF pour finir par tenter de lancer un système de médecine de luxe. L’homme semble volontiers cassant et méprisant, il dit vouloir sauver le système de soin, un peu comme tout ses collègues. Une bonne médecine se doit d’être amer… . L’impression générale est que tout ces hauts responsables ont agis par conformisme, qu’ils se sont contentés de suivre une politique générale de destruction, en conformité avec les théories du libre échange, du trop d’état, trop de protections sociales, trop de dépenses... qui a été taillée par et pour l'oligarchie a laquelle ils appartiennent

 

Les récentes manifestations de médecins, ou les billets qu’on peut lire de leur part ici ou là, n’incitent guère a l’optimisme : il demandent principalement plus d’argent, ne tirent aucune leçons de cette crise sur le fonctionnement de leurs propres institutions, ne parlent même pas du rôle de plus en plus ambigu qu’ils ont vis-à-vis du biopouvoir (particulièrement les obligations de soins, principalement sur les vaccins). Ils protestent aussi contre la proposition de loi visant a permettre aux IPA (infirmier en pratique avancée), kiné, orthophoniste de prescrire, ce qui empiète sur leur monopole. La rémunération d’un généraliste en France est en moyenne d’environ 92000 euros, et celle d’un spécialiste de plus de 150000, avec des pointes a plus de 400000. Dans une France en pleine paupérisation, demander dans ce cas un doublement de la rémunération, c’est priver de fait un grande partie de la population de l’accès au soin. Si les médecins se trouvent en position d’avoir ce genre d’exigences, c’est bien grâce à cette pénurie organisée

 

 Quoi qu’il en soit, il y aura un manque de médecins au moins jusqu’en 2030, et pour certaines spécialités jusqu’en 2040. La situation actuelle devrait empirer pendant encore plusieurs années. La libéralisation de la profession va accentuer le problème : les cliniques privées adapteront les prix a la demande, les médecins libéraux feront pareils, ils le font déjà. Permettre a d'autre professions de prescrire pourrait légèrement améliorer la situation, les médecins s'y opposent. Une meilleur rémunération créérait selon leurs syndicats un "choc d'attactivité", ce qui n'a aucun sens vu le grand nombre de personnes se présentant déja a l'entrée aux études et le fait que la pénurie soit générale et concerne a peu près toutres les branches de la médecine

 


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