Une guerre normale

par Fanny
mercredi 3 avril 2024

L’année 2024 fixera l’orientation définitive de cette guerre d’Ukraine, avec les élections américaines. Soit une négociation, ou un prolongement sans limite de la guerre ou encore une tragédie européenne. L’article propose un plan de paix.

Tout part de Pologne et d’un Polonais. L’invasion de la Pologne, c’est le point de départ de la deuxième guerre mondiale. C’est l’analyse magistrale du Polono-Américain, Zbigniew Brzezinski (Le Grand Échiquier), qui fonde la guerre d’Ukraine : sans l’Ukraine, la Russie n’est qu’une puissance moyenne comme l’ont affirmé Obama et Macron, anticipant une Russie sans Ukraine. Russie = le PIB de l’Italie, autant dire pas grand-chose dans l’ordre des grandes puissances.

L’OTAN et l’UE, adossés aux USA, ont donc engagé les travaux pratiques de la « mission Brzezinski » à l’aube des années 2000 : basculer l’Ukraine dans le camp UE-OTAN, la séparer de la Russie. Les USA sont à la manœuvre, l’UE-OTAN en appui.

Milliards déversés sur le pays, bases militaires/biologiques secrètes, formations militaires, armements, perspective d’alliance avec l’UE puis d’adhésion, achats massifs de terres agricoles ukrainiennes par les fonds de pension occidentaux, regime change par coup d’Etat. Les Français ne sont tenus au courant de rien, sauf au moment de Maïdan : BHL est monté sur l’estrade à Kiev.

Le savoir-faire occidental est à son zénith, pas un bouton de guêtre ne manque, pas même l’Eurovision, c’est complet : le soft power occidental avec menace de hard si besoin fonctionne sans opposition sérieuse, ça déroule.

Il ne restait plus qu’à s’occuper des Ukrainiens russophiles/phones, ces « russes » présents sur le territoire de l’Ukraine peu disposés à quitter le monde russe, difficilement assimilables aux nouvelles valeurs de l’UE importées des USA. Combiner une pression politique/policière-militaire avec une délégitimation de leur langue et de leur culture devait les pousser à migrer vers « leur pays » pensait-on à Kiev, réglant ainsi le problème.

Un journaliste français macronien/mainstream - Jean Quatremer - proposait sur LCI de résoudre cet « obstacle », la présence d’un « monde russe » en Ukraine, par nettoyage ethnique en commençant par la Crimée, la vidant de sa population russe soit 60 à 70% de ses habitants.

Cela indique que cette idée de déplacement vers l’Est des Ukrainiens de culture russe était dans l’air dans le camp occidental, ainsi que chez les nationalistes ukrainiens, Quatremer ne faisant que reprendre un plan Zelensky. Version moderne du Drang Nach Osten et de l’accroissement de l’espace vital pour les « civilisés » (les cultures et civilisations, pas les races dans cette version modernisée, mondialisée du D.N.O.).

Et c’est là que ça a coincé, car « leur pays », c’est là où ils se trouvent actuellement, depuis longtemps et indépendamment des frontières administratives dessinées par Staline/Kroutchev.

Ukraine-Palestine, même combat pour/contre l’ingénierie géopolitique soviéto-occidentale (un million de Soviétiques émigrés en Palestine) ?

Comme en Palestine, cette ingénierie provoque le déclenchement d’une guerre civile, avec basculement d’une partie des militaires ukrainiens des régions Est et de la Crimée du côté russophile/phone. C’est ce qui explique que la Crimée ait changé de camp sans combats en 2014.

La Russie, qui ne peut se résoudre à n’être qu’une puissance moyenne vu son passé impérial et communiste à l’échelle mondiale, vu la menace potentielle d’installation de l’OTAN à Sébastopol et à sa frontière avec l’Ukraine, a répondu à l’assaut occidental, à la « mission Brzezinski » : elle s’est emparée de la Crimée en 2014 et encore d’une partie du Sud et de l’Est de l’Ukraine dans un second temps, après 8 années de guerre civile.

Telle est la situation début 2024, au prix de centaines de millier de pertes ukrainiennes et russes au combat. Il resterait encore aux Russes, pour compléter leur « opération spéciale » à conquérir Kharkov, Odessa et une partie du Donbass selon certains de leurs dirigeants.

Cette réponse russe au plan Brzezinski, c’est 1/3 - 2/3. Les deux-tiers de l’Ukraine de Staline-Kroutchev revenant à Kiev (c.à.d. à l’UE-OTAN), le tiers restant à la Russie.

Ça peut paraître raisonnable comme partage, compte tenu de l’Histoire et des forces en présence. L’Histoire est plutôt côté russe, la puissance économique et militaire côté OTAN-UE dans un rapport 10/1 (si l’on exclut le nucléaire).

Si les Anglo-Saxons avaient accepté la négociation de mars 2022, il est possible que la Russie se serait montrée plus conciliante quant à ses objectifs. Le 1/3-2/3 se serait limité à 1/5-4/5. Cela aurait évité des centaines de milliers de morts.

Mais l’OTAN avait sans doute un agenda plus ambitieux que le simple intérêt de l’Ukraine, en visant une défaite militaire de la Russie, une remise de la Russie dans son état moribond de 1991, une conclusion définitive à la victoire dans la guerre froide. Le statut géopolitique de la Russie est clairement au menu « Brzezinski », l’Ukraine n’est qu’un moyen.

Jusque-là, rien de surprenant, c’est l’Histoire telle qu’elle se déroule depuis plus de 2000 ans avec ses affrontements entre puissances, ses conquêtes et ses morts par millions. La Russie devait rejoindre le camp des vaincus : Allemagne, Japon, France (en 40), … alignés sur l’oligarchie mondialiste qui gouverne l’Amérique Démocrate (mais pas totalement l’Amérique Républicaine), mais que contestent les nouveaux géants du Sud Global.

Le problème de cette guerre est que, comme souvent, tout le monde s’est trompé, rien ne s’est déroulé comme prévu. Les conséquences en sont désastreuses, tant pour l’Ukraine que pour l’Europe et la Russie.

L’UE-OTAN pensait gagner facilement, croyant que la Russie se replierait dans son immensité sans bouger, comme quand l’OTAN bombardait (illégalement) Belgrade. Que de toute façon, si elle bougeait, l’Occident avait les moyens de la tuer économiquement (cf. notre Argentier), l’armée ukrainienne devant remporter la guerre grâce à la supériorité de l’armement occidental de l’OTAN (cf. nos généraux de plateaux TV). Rien de tout cela n’a fonctionné, première surprise. 

La Russie, de son côté, ne s’attendait pas à une mobilisation occidentale d’une telle ampleur derrière l’Ukraine, un tel appui à la « mission Brzezinski » d’où une guerre longue et le passage en économie de guerre, puis le passage d’une opération spéciale à la guerre. Deuxième surprise.

La troisième surprise, c’est notre Président. Après une étape avortée de négociation-séduction face à Poutine, Macron a basculé sur les positions des nationalistes de Kiev. S’imaginant peut-être futur président d’Europe à la tête d’une armée européenne (il est le seul dans l’UE à disposer de l’arme nucléaire), il a fixé une ligne rouge du côté d’Odessa.

Une première : la guerre froide n’avait jamais vu l’un des deux camps, puissances nucléaires, menacer l’autre de confrontation sur le terrain par troupe armée. Macron innove, dangereusement.

Son argument est que notre sécurité serait en jeu en Ukraine. Personne n’y croit, pas même lui qui se prend pour Napoléon III dans sa guerre de Crimée. Mais il est dans son rôle, dans son ambition européenne, appuyé sans doute par les néo-conservateurs américains entourant Biden et momentanément empêchés par le parti Républicain.

Cette ligne rouge, mobilisant potentiellement des troupes d’un pays de l’OTAN en Ukraine, fait planer la menace d’une guerre nucléaire en Europe. Macron, qui n’a pas réussi grand-chose en France en 7 ans sinon à exploser la dette (il n’a pas eu de chance, dit-on), s’en trouve soudainement grandi. Il a revêtu le costume d’un grand homme, d’un grand européen solitaire (l’Allemagne ne le suit pas) après Robert Schuman, Jean Monnet ou encore Jacques Delors.

Il ne manquait plus que ça à notre pays, en grande difficulté par ailleurs : s’engager dans une guerre de haute intensité, même si ce n’est pour le moment qu’un rêve conçu pour agrémenter les élections européennes.

Enfin, une énorme incertitude entoure cette guerre : que vont faire les USA en 2025, quel prix sont-ils prêts payer pour cette « mission Brzezinski » ? C’est le grand suspense, car tout dépendra des USA au final. Jamais Macron n’osera prendre la moindre initiative importante sans leur feu vert, même revêtu du costume de généralissime européen.

Là-dessus, Poutine obtient le soutien massif de son peuple. Pas vraiment une bonne nouvelle pour la suite des événements.

Un conflit « normal » en effet, simple à comprendre tant il est banal au regard de l’Histoire, avec son jeu de puissances et d’ambitions. Avec cependant un inconvénient majeur : il peut se terminer très mal pour nous tous.

Et c’est ici que Macron a quand même raison tout en ayant tort. Cette guerre menace effectivement notre sécurité, celle de l’Europe, mais pas en cas de victoire de la Russie comme il le prétend, mais en cas de défaite de la Russie.

Les Russes considèreraient en effet la perte de la Crimée comme une atteinte à leur territoire national. L’Alsace-Lorraine a contribué à la montée vers la guerre de 14, Macron devrait s’en souvenir.

 

NB : mon plan de paix n’est probablement pas « poutinien », plan dont j’ignore le contenu. Le mien comporte une Crimée russe, des régions de l’Est et du Sud de l’Ukraine (Petite Russie) jouissant d’une très grande autonomie vis-à-vis de Kiev (Fédération), une Ukraine dans l’UE dans ses frontières de 1991 hors Crimée, protégée par des accords militaires bilatéraux avec les pays occidentaux, hors OTAN.

Tout ceci complété par un accord de Sécurité Européenne éloignant autant que faire se peut les missiles et anti-missiles nucléaires du territoire de l’Europe.

Un tel accord mettrait fin à la période de décolonisation de l’URSS/Russie engagée en 1991, par rapatriement (Crimée) et reconnaissance dans la Fédération Ukrainienne du dernier ensemble significatif du monde russe (Petite Russie) resté hors frontière après 91.

Mais certains préfèreront, peut-être, une « mission Brzezinski » menée à son terme (défaite de la Russie), au prix d’une guerre nucléaire en Europe, voire d’une guerre mondiale. Au choix.

 


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