AA+ et ensuite quoi ? Weimar 2.0 ?

par Luc-Laurent Salvador
vendredi 12 août 2011

Picasso disait : « tout l’art est dans le commencement, après le commencement, c’est déjà la fin ». Nous savons tous que les processus en développement (comme les histoires d’amour ou, tout simplement, la vie humaine) portent en germe leur propre fin. Il y a des raisons de penser qu’avec le passage à la note AA+ pour la dette américaine, un processus de désescalade a commencé qui est déjà en route vers sa fin. Loin de toute futurologie, cet article interroge la dynamique de cette chute et notamment le devenir de ce qui nous relie tous fondamentalement : la confiance, le crédit, la dette et donc la monnaie. Sommes-nous en route vers l’hyperinflation ou la déflation ?

En économie comme en physique ou en biologie, certains équilibres sont métastables, c’est-à-dire, que la moindre déviation est suivie d’une déviation encore plus grande et le système s’effondre plus ou moins rapidement comme un œuf que vous auriez (miraculeusement) fait tenir en équilibre sur un autre œuf : le plus petit souffle, la plus petite vibration amènera fatalement la chute.
La dette souveraine des U.S.A. pourrait se trouver dans cette situation dès lors que les efforts de régulation (les restrictions budgétaires) contribuent à l’effondrement de l’économie et à la nécessité de recourir encore davantage à la dette et donc à encore davantage de restrictions budgétaires, et ainsi de suite…
 
Si nous sommes bien dans ce cas de figure, la question qui se pose est de savoir quand cette réalité sera reconnue comme telle ? C’est-à-dire, quand aura lieu l’effondrement, étant donné qu’un tel cercle vicieux ne manquera pas de susciter la panique chez les investisseurs qui tiendront alors les USA en complet « dis-crédit ».
 
La réponse est dans la question : la réalité de cette situation sera reconnue quand l’effondrement interviendra, c’est-à-dire, quand la foule des acteurs économiques ne formera plus qu’une masse paniquée.
Ce dont les bourses mondiales nous ont donné un petit avant-goût ces jours derniers.
Autrement dit, ne comptez pas sur la rationalité et la lucidité des experts économiques pour vous annoncer une réalité avant qu’elle ne se réalise. Ils sont comme moutons soumis aux intempéries économiques mais qui prétendent encore nous expliquer pourquoi il y a une tempête aujourd’hui sans daigner se rappeler que depuis des années et la veille encore ils annonçaient du beau temps.
 
Le point qui illustre le mieux cette incurie de la science économique que Ludwig von Mises fustigeait pour sa mathématisation non seulement stérile mais absurde me semble être la question apparemment indécidable de savoir si nous allons prochainement assister à un effondrement du dollar avec hyperinflation ou si, au contraire, c’est la déflation qui nous guette au travers d’un ralentissement économique.
 
Je voudrais simplement tenter de présenter ici cette question telle que peut se la poser le citoyen lambda que je suis car, je ne sais pas vous, mais pour ma part, j’aimerais bien avoir une bonne idée de la situation présente afin de savoir comment agir, comment me préparer à… ce qui vient. Je vais donc tenter d’esquisser le tableau le plus cohérent possible en comptant sur l’intelligence collective présente sur Agoravox pour lui donner forme et couleur.
 
 * * *
 
Pour commencer, revenons à notre constat initial : pour la première fois de leur histoire, les USA sont passés de la note AAA à la note AA+. Il aura fallu 70 ans pour cela.
La question qui se pose est de savoir quand et dans quel sens se fera le prochain changement.
 
Comme l’a laissé entendre le directeur de l’agence Standard & Poor en expliquant la décision d’abaissement de la note, la probabilité d’une prochaine dégradation est déjà de 1 chance sur 3.
 
Disons-le tranquillement, la probabilité d’un retour à AAA doit être proche de zéro, car il semble que personne n’en parle. Il est douteux que cela revienne de si tôt à l’ordre du jour vu la conjoncture, affreuse, sous le rapport de l’économie réelle, du chômage et des finances publiques.
 
Le récent accord intervenu in extremis pour le relèvement du plafond de la dette exige en effet que les coupes budgétaires soit supérieures aux dépassements autorisés. Ainsi, pour emprunter 900 milliards de dollars de plus, l’Etat zunien a planifié 917 milliards de coupes ici et là.
 
Certains experts disent que cette potion amère est une recette sûre pour passer de la récession à la dépression. L’économie étasunienne, déjà en lambeau sous le coup des délocalisations va, tel un toxicomane privé de sa drogue, s’effondrer si elle ne peut plus emprunter comme elle n’a cessé de le faire depuis 1835.
 
Comment la confiance — sans laquelle nul ne fait crédit, dès lors qu’il n’a pas foi en la capacité de l’emprunteur à rembourser sa dette — va-t-elle pouvoir refleurir dans un si misérable terreau ?
On peut craindre que la défiance ne l’emporte et la chute vertigineuse des bourses mondiales est un indice sûr de l’affolement actuel devant les risques encourus.
 
Mais l’économie est un système complexe, difficilement prédictible (par exemple : le dollar baisse devant le yen et le franc suisse mais monte face à l’euro) d’autant qu’avec des acteurs bancaires devenus surpuissants ces dernières années toutes sortes de manipulations des cours sont possibles et bien malin qui pourrait démontrer qu’à coup sûr les choses iront ici ou là.
 
Ce qui suit n’est donc même pas une conjecture, seulement une interrogation à laquelle il faut, je crois, se confronter, concernant la possibilité d’un effondrement du dollar par hyperinflation, c’est-à-dire, en somme, une hypothèse Weimar 2.0 (Zimbabwe 2.0 irait très bien aussi).
 
Le 2.0 n’est pas ici qu’une coquetterie d’auteur. Il pointe vers une dynamique en réseau social basée sur internet et qui fait que l’action des uns se synchronisant avec celle des autres, une synergie productrice d’effets majeurs est susceptible d’apparaître mécaniquement. Le lecteur aura compris que la finance correspond de plus en plus à cette image. Elle a même probablement été 2.0 avant tout le monde. La récente rumeur autour de la Société Générale a d’ailleurs connu une grande ampleur grâce aux réseaux sociaux, dont Twitter.
 
Quoi qu’il en soit, ce qui importe ici c’est l’idée que par effet grégaire, par imitation, la dynamique financière puisse mécaniquement aller se jeter du haut de la falaise en entraînant avec elle l’économie entière.
Nous savons bien déjà qu’une part essentielle des flux financiers sur les bourses est contrôlée par des ordinateurs, c’est-à-dire, des programmes informatiques réagissant en temps réel, en une furtive fraction de seconde, faisant passer le meilleur opérateur humain pour, au mieux, un zombie hypnotisé par des feux d’artifice.
 
Quand l’action est mécanique, orientée vers la maximisation directe du profit, avec seulement des zombies déshumanisés aux commandes, le pire est à craindre. Or, avec l’informatisation et l’interconnexion des marchés qu’a amenées la mondialisation, la possibilité d’une contagion de la peur et de la ré-action mécanique n’a jamais été aussi grande.
Dès lors, ainsi que Marx disait que le capitalisme est perdu parce qu’il nous vendra la corde pour le pendre, il se pourrait bien que les grandes institutions financières n’en viennent, par simple quête mécanique du profit, à scier la branche sur laquelle elles sont assises.
 
Le problème, c’est que la branche, c’est nous. Nous le bon peuple avec son économie réelle, qui tel un grand corps social (malade), a besoin que ce sang qu’est l’argent constamment l’irrigue par sa circulation.
 
Or, quand vient l’horreur économique et financière, quand la confiance se perd, le sang se glace et plus rien ne circule, l’économie s’effondre et tombe en dépression. Ce risque pourrait sembler le plus sérieux. C’est celui dont même les journalistes encartés arrivent à parler à présent, après des années de désinformation servile sur l’air de « Tout va bien Madame la Marquise… »
 
Ainsi qu’un certain nombre de journalistes citoyens zuniens le rappellent [1], le « système bancaire parallèle » (auprès duquel les banques peuvent se financer en cas de besoin) ne cesse de plonger, c’est-à-dire, de se rétrécir depuis 2007. Dès lors, les banques insécurisées prêtent de moins en moins, elles cherchent à préserver leurs liquidités et, les pékins moyens comme les PME ne peuvent plus ni emprunter ni même récupérer aussi librement leurs valeurs qu’ils pouvaient le faire auparavant. Les obstacles aux retraits ne cessent de grandir avec des prétextes plus vains les uns que les autres (cf. le blog de Pierre Jovanovic qui recense ces abus de pouvoir de la part des banques françaises).
 
Si on prend en compte cet aspect, le risque le plus sérieux semblerait être celui d’une dépression (accompagnée d’une déflation ou d’une stagflation si certains produits (comme les denrées alimentaires) devaient connaître une inflation significative).
 
Toutefois, la complexité et donc le caractère « chaotique » de la finance actuelle étant ce qu’il est, il semble que nous ne puissions pour autant exclure l’hypothèse apparemment opposée d’une hyperinflation induite par une circulation excessive de l’argent.
 
En effet, ainsi que Ellen Brown le rappelle, Hjalmar Schacht, l’homme qui a restauré le mark dans les années 20, révélait dans son dernier livre que l’hyperinflation allemande lors de la république de Weimar n’avait pas, malgré les apparences, été la conséquence d’une création monétaire inconsidérée. Car contrairement à la propagande pro-banques privées que l’on nous assène depuis des lustres, la fameuse planche à billet est tout à fait saine et même indispensable dès lors qu’elle s’inscrit dans une économie vivante, en croissance, puisqu’elle fournit les liquidités indispensables à la circulation, c’est-à-dire, aux échanges comme à la croissance économique.
 
Selon Schacht, l’origine de l’effondrement du mark serait venu de ce que les spéculateurs d’alors pouvaient emprunter du mark à volonté et miser des sommes prodigieuses contre le mark lui-même par le mécanisme de vente à découvert qui consiste simplement à emprunter du mark pour le vendre aussitôt, (ce qui contribue à faire ainsi baisser les cours) et le restituer ensuite lorsqu’il a perdu de sa valeur ; et cela, avec des bénéfices proportionnés aux sommes empruntées et à l’importance de l’effondrement ainsi provoqué.
Ces investisseurs (étrangers ou non, ce n’est pas la question) auraient ainsi réalisé une prophétie auto-réalisatrice de l’effondrement du mark d’autant plus sûre que les sommes en jeux pouvaient être importante.
 
L’Histoire pourrait-elle se répéter ici ? Elle l’a toujours fait, on ne voit pas tout à coup pourquoi elle s’arrêterait dès lors que les agents économiques sont restés les mêmes depuis des siècles : moutonniers et avides. La mécanicité grandissante de leur action évoquée plus haut pourrait faire que l’argent se mette à circuler monstrueusement là où il y a… de l’argent à se faire même si cela doit tous nous précipiter en enfer.
 
De fait, comme le dit si clairement Max Kaiser, la perte du statut AAA est une occasion en or pour les banquiers d’augmenter leurs marges, c’est-à-dire, les taux de crédit, et donc, de maximiser les profits.
 
On pourrait ainsi imaginer pour les USA quelque chose d’équivalent à ce qui a eu lieu pour la Grèce, quand les banquiers de Goldman Sachs lui vendait (à titre très onéreux) une solution à base de CDS (Credit Default Swap) contre lesquels ces mêmes banquiers se sont empressés de parier afin de se faire encore plus d’argent, précipitant ainsi la perte des grecs (si j’ai bien tout compris :-)
 
Le parallèle qu’il est tentant de faire ici avec Weimar, c’est que les banques ont été submergées de liquidités par les plans de sauvetage et les quantitative easing successifs. Elles l’ont été grâce à la dette souveraine, donc à la population, à la nation, qui se trouve fragilisée d’autant et encore plus exposée à l’appétit insatiable d’un monstrueux système qui grandit en son sein depuis 1913 (la FED) et qui est d’autant plus dangereux qu’il semble se placer non seulement au-dessus de la gouvernance politique mais aussi au-dessus des lois.
Sous ce rapport, le Fond Européen de Stabilité Financière semble ni plus ni moins que le rejeton naturel de la FED.
 
En bref, il ne semble pas insensé de se demander à quel moment les banquiers jugeront qu’il y a des sommes monstrueuses à se faire en pariant contre le dollar. Car les prédateurs attaquent la bête qu’ils jugent malade et pour sûr, la situation n’est pas folichonne — même s’il y a de bonnes raisons de penser que le dollar pourrait longtemps continuer son bonhomme de chemin, c’est-à-dire, une lente démonétisation peu inquiétante vu qu’elle dure depuis des décennies.
 
Mon impression est que, si elle vient, l’attaque se fera dans un temps de panique, lorsque la confiance apparaîtra irrémédiablement perdue et que chacun pensera « prend l’oseille et tire-toi ».
Si, par exemple, la population étasunienne résistait à des coupes budgétaires insupportables et fragilisait encore davantage l’autorité politique d’un gouvernement qui apparaîtrait alors incapable de contrôler sa population, son budget et donc sa dette, les investisseurs pourraient être tentés d’attaquer le dollar simplement parce qu’ils anticiperaient sa dévaluation et qu’il est dans leur nature d’aller là où il y a de l’argent à se faire. Leurs attaques, si elles étaient couronnées de succès, leur donnerait raison a posteriori, quand bien même l’effondrement ne serait que le résultat d’une curée financière identique à celle qu’a connu Weimar ou plus récemment le Zimbabwe.
 
La chose paraît d’autant plus plausible qu’ Hélicoptère Ben, tout acquis à la cause du cartel de banques privées qui constituent la FED, serait peu désireux et, probablement aussi, incapable d’opposer une résistance telle que celle avec laquelle Schacht a fait plier les spéculateurs tant en 1923 qu’en 1924, lorsqu’ils tentèrent d’attaquer le nouveau mark (le Rentenmark) peu après qu’il ait réussi à l’instaurer.
 
Assurées de se financer à taux zéro auprès de la FED, les banques pourraient aussi facilement enfoncer le dollar qu’elles font monter la bourse au cric. Le plus fou à penser est qu’elles le feraient mécaniquement, parce qu’il y aurait de l’argent à se faire, et sans penser aux conséquences.
 
Car faut-il le rappeler l’hyperinflation est une punition pour les créditeurs, donc pour les banquiers. Contribuer à l’effondrement du dollar serait pour celles-ci comme se tirer une balle dans le pied. En effet, une dette est vite remboursée lorsqu’on paie en monnaie de singe. Un petit Weimar 2.0 et c’en serait fini de la dette.
 
Une solution moins dramatique pourrait aussi consister à user du pouvoir que détient encore le congrès de « battre monnaie » (seigneuriage) pour créer quelques pièces de 1 à 5 trillards de dollars qui pourraient être remises à la FED en guise de remboursement de la dette. Mais bien que, comme Ellen Brown, les défenseurs de cette solution s’en défendent, il se pourrait qu’elle soit la goutte d’eau qui ferait déborder le vase de l’inflation en suscitant le dis-crédit de la nation étasunienne.
Celle-ci perdrait alors le seigneuriage international que lui confère le statut de monnaie de réserve dont bénéficie encore le dollar, mais peut-être plus pour longtemps.
 
On peut imaginer que tout sera fait pour préserver ce statut comme le prouve la violence qu’a subi l’Irak et les menaces dont fait encore l’objet l’Iran, pays qui ont tous deux décidé d’abandonner le dollar pour le règlement des transactions pétrolières et qui en payent les conséquences.
Ainsi que le suggère ici Thierry Meyssan, il n’est pas interdit de penser que la faiblesse bien connue de DSK ait servi à le piéger au moment où il devait amener le FMI à concevoir une nouvelle monnaie de réserve internationale.
Enfin, il est probable que, si besoin était (et besoin est) l’euro sera fracassé sur l’autel de la survie du dollar. Après la Grèce, l’Irlande, le Portugal, voici à présent l’Espagne et l’Italie en ligne de mire, avec la France en prochaine sur la liste des pays susceptibles de faire défaut. Ce qui est arrivé hier avec les rumeurs sur la Société Générale et sur la note souveraine de la France, n’est probablement qu’une mise en jambe, un échauffement.
Mais sans doute cela sera-t-il un mal pour un bien si l’on en croit François Asselineau qui nous donne ici dix bonnes raisons de quitter l’euro et l’Europe.
 
Disons pour conclure que le meilleur indice pour savoir si nous allons vers l’hyperinflation, c’est le prix de l’or. La relique barbare n’a jamais été démonétisée. Elle a toujours cours. Et si on la voit grimper, ce n’est que par effet de perspective. Car elle ne bouge pas. Ce sont les monnaies papier qui s’effondrent. Et ce qui se passe actuellement y ressemble furieusement.
 
JP Morgan annoncerait l’or à 2500 dollars l’once à la fin de l’année. Et ce ne serait qu’un début si l’on en croit la Chronique Agora qui, depuis des années évoque des niveaux largement supérieurs. Pour Egon von Greyerz, 6000 à 10.000 dollars l’once, c’est toujours bien trop bas. Il nous faut penser l’impensable dit-il. Mais pas d’affolement, pour l’hyperinflation, il y a encore de la marge. Car durant Weimar l’or a atteint les 100 trillions de mark. Nous en sommes loin.
 
Car, comme le montre leur histoire, il reste aux USA une solution de dernier recours pour reprendre la main sur l’économie et sur l’or ; une solution dont la jeune république de Weimar ne pouvait disposer : la guerre.
Pensez-vous que le complexe militaro-industriel US va se laisser couper les ailes pour de basses raisons comptables ?
Ce serait surprenant.
Donc voici mon quarté gagnant pour les prochaines années : la guerre ou l’hyperinflation, avec la dictature ET le plutonium. Choisis camarade…
 


[1] Suivez (en anglais) par exemple Mike Whitney sur Information Clearing House ou Ellen Brown sur Mondialisation.ca.

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