Année noire : épilogue

par Forest Ent
lundi 29 septembre 2008

La crise est finie, la dépression commence. Y avait-il un responsable dans cette économie ?

Cette note achève la chronique d’une crise économique annoncée, chronique commencée en mars et avril 2007. La crise s’étalant maintenant partout dans la presse, et ayant même été confirmée par notre exécutif, cette chronique a achevé son rôle. Des temps difficiles viennent pour tous. J’adresse aux lecteurs mes vœux et prières pour qu’ils les surmontent au mieux.

Je remercie Agoravox d’avoir publié cette longue chronique, et les lecteurs de l’avoir suivie et utilement précisée et corrigée. Je rends hommage aux rédacteurs qui nous ont les premiers alertés sur la situation, comme Franck Biancheri, David Carayol et Gilles Caye. Le fait que de nombreuses opinions aient pu s’exprimer ici sur la probabilité, la gravité et les causes de cette crise avant qu’elle ne se manifeste publiquement est un témoignage de l’intérêt du “journalisme citoyen”. Elle n’a été à la même époque raisonnablement discutée dans aucun “grand” média, ce qui doit encore une fois nous interpeller sur la confiance que nous pouvons leur accorder.

Les difficultés de l’épargne

Au moment où ce dernier épisode est rédigé, l’Etat a déjà nationalisé Fannie Mae, Freddie Mac et AIG, acheté d’énormes volumes de dettes insolvables, par exemple à Bear Sterns, et est sur le point d’acheter pour encore 700 milliards de mauvaise dette. On assiste à un transfert massif de mauvaise dette du privé vers le public.

De telles subventions accordées à de mauvais gestionnaires éclairent cruellement le fait qu’il a manqué chaque année environ 9 milliards pour boucler le programme NCLB (“no child left behind”), lancé en fanfare en 2002 par l’administration actuelle, visant à résorber les déséquilibres de qualité de l’enseignement public (voir , ou ).

L’augmentation de la dette publique aura pour effet mécanique de diminuer la valeur de la monnaie et des dettes de l’Etat. L’épargne investie en dollars perdra ainsi une partie de sa valeur. Cela n’empêchera pas dans le même temps des dettes insolvables de disparaître. Il n’y a rien dans ce mécanisme de nationalisation des pertes qui puisse resolvabiliser les débiteurs des banques, au contraire. Ce n’est pas une crise de liquidités, c’est une crise de solvabilité. Or ces créances condamnées constituaient les actifs d’autres gens, qu’ils le sachent ou pas. Par inflation, déflation ou magie noire, nous allons voir disparaître une grande quantité d’épargne.

D’aucuns pourraient imaginer que cette épargne n’appartenait qu’à de riches financiers, et que ce n’est pas très grave qu’ils soient ruinés. Hélas, les mauvais gestionnaires jouaient avec l’argent des autres – ce qui n’incite d’ailleurs pas à une saine gestion. Les actifs qui disparaissent étaient des dépôts bancaires, des réserves d’assurances ou de caisses de retraites. Ce sont des épargnants qui vont souffrir, et en particulier ceux qui épargnaient pour leur retraite. Ce ne seront pas seulement des épargnants américains, dans la mesure où beaucoup d’établissements financiers sur la planète détiennent ce genre d’actifs, parfois sans le savoir.

Les systèmes de retraite privés

L’épargne retraite privée institutionnelle aux Etats-Unis représentait fin 2007 17 600 milliards (selon cette synthèse de ICI, Investment Company Institute). Elle était investie en quasi-totalité dans des établissements financiers ou en actions des employeurs. Il y en avait par exemple un quart dans des “mutual funds”, soit 4 600 milliards, et à peu près autant en actions des employeurs.

Les biens gérés par les mutual funds étaient estimés alors à 12 000 milliards (plus que 11 600 en juillet 2008), investis aux trois quarts aux Etats-Unis, répartis de la manière suivante :

Ces trois catégories d’actifs sont exposées à la crise, et seront grignotées soit par l’inflation soit par la déflation. La valeur des actions a déjà pas mal fondu, et c’est dramatique pour certains employés dont le plan de retraite était constitué d’actions d’un employeur en faillite. On voit que la partie investie en dette à court terme a augmenté en même temps que la valeur des actions baissait, mais ceci s’est arrêté en septembre 2008, quand plusieurs “money markets” ont fait faillite, suite à l’annulation de la dette court terme de Lehman Brothers.

Mais ceci ne représente qu’une partie du système de retraites.

Le système de retraite public

Il est en effet peu connu en France que le système de retraite aux Etats-Unis est sensiblement le même que le nôtre. C’est un système public obligatoire, fonctionnant surtout par répartition et incluant une forme de redistribution, appelé “social security”, et contenant un volet santé appelé “medicare”. La “social security” est financée par un impôt, de 4,3 % du PIB en 2007, et le medicare de 3,2 %.

Ce système a été créé dans le deuxième “new deal” de 1936, en partie pour faire face à la ruine des retraités causée par la disparition de l’épargne créée par la dépression. Son budget annuel pour les retraites est d’environ 550 milliards. Mais c’est bien sûr assez mal réparti. Selon l’ICI, 30 % des ménages n’ont pas d’épargne privée, et le système public représente :

On voit que le système privé concerne surtout les catégories aisées. Le rapprochement avec les chiffres du système privé donne une idée du niveau d’inégalités sous-jacent.

La social security est menacée pour trois raisons. La première est l’augmentation des coûts médicaux, qui fait que le déficit du medicare s’accroît beaucoup plus vite que la durée de vie des assurés. La deuxième est bien sûr la démographie et le début proche du “papy boom”. La troisième est la baisse des salaires qui tarit ses ressources.

La social security a dégagé dans le passé un certain nombre d’excédents. Ceux-ci devaient obligatoirement, contrairement par exemple aux mutual funds, être investis en obligations d’Etat. L’Etat est ainsi aujourd’hui débiteur d’environ 2 200 milliards à la social security. Les futurs retraités ne peuvent voir qu’avec appréhension leur Etat s’endetter massivement pour racheter les créances insolvables du système privé.

Le choix de l’inflation contre la déflation est de nature à favoriser les systèmes privés contre les systèmes publics, donc encore une fois les riches contre les pauvres.

Une crise annoncée

Cette crise est simple dans sa manifestation de surendettement massif. Les causes sont plus complexes, et seront discutées encore longtemps : démographie, mondialisation, progrès technique, épuisement des ressources naturelles, coût “colonial”... Il y a sans doute beaucoup de responsabilités. Mais un homme ne peut s’exonérer des siennes : celui qui était aux commandes. Le président Georges W. Bush quittera dans quelques mois ses fonctions en laissant l’économie en miettes, les relations internationales déchirées et les libertés pas vaillantes.

Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai admiré les Etats-Unis d’Amérique, ses institutions et son peuple, admiration due entre autres au fait que, pour mes parents, le débarquement de 1944 a été la meilleure nouvelle de leur existence. Un tel gâchis me fend le cœur.

Il y a presque huit ans, Georges W. Bush prenait ses fonctions, après une élection dans laquelle il avait remporté une minorité des suffrages, et après des semaines de contestation des résultats. Conscient de l’effet désastreux, il avait prononcé le 13 décembre 2000 un discours d’investiture de réconciliation à l’intention du Parti démocrate. Ce discours contenait des éléments de programme qu’on peut relire aujourd’hui avec amertume :

Ensemble, guidés par le bon sens, le respect et des objectifs communs, nous pourrons unir et inspirer le peuple américain.

Ensemble, nous obtiendrons l’excellence de notre enseignement public, pour tous les élèves, “so that no child is left behind”.

Ensemble, nous sauverons la “social security” et renouvellerons sa promesse d’une retraite sûre pour les générations à venir.

Ensemble, nous renforcerons le “medicare”, et permettrons à toutes les personnes âgées de se soigner.

Ensemble, nous donnerons aux Américains la grande, juste, et fiscalement responsable réduction d’impôts qu’ils méritent.

Ensemble nous mènerons une politique étrangère conforme à nos valeurs, loyale envers nos alliés, et nous aurons une force militaire apte à tout défi et supérieure à tout adversaire.

Cette chronique a pendant dix-huit mois annoncé des lendemains qui déchantent. Il est temps de la conclure sur une note d’espoir. Avec l’effondrement des géants de la finance, nous avons assisté au crépuscule des dieux. L’aube des hommes lui succédera. Cette crise, comme les autres, sera surmontée, parce qu’il le faut et qu’il y a partout des gens moins avides prêts à reconstruire ce que détruisent des Cheney et Rumsfeld.

Mais au moment où il faut mobiliser toutes les énergies pour sortir de ce bourbier, je ne vois pas quelle excuse l’Histoire pourra trouver à Georges Walker Bush.


NDLR : Cet article clôt une chronique de Forest Ent débutée en mars 2007, qui annonçait très précocément la crise financière actuelle, et dont voici les différents épisodes :

2007, année grise ?
2007 année grise, deuxième épisode
2008, année noire
2008 année noire : ouverture
2008 année noire : le crépuscule des dieux
2008 année noire, saison 2, épisode 4 : le prix du pain
Année noire, saison 2, épisode 5 : la nationalisation des pertes
Année noire : épilogue


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