La crise de l’Éducation (3/3) – Quand l’éducation ne va pas… rien ne va

par maltagliati
lundi 19 mars 2012

Le métier d’enseignant est devenu impossible. J’en ai abordé dans les deux articles précédents les raisons profondes : – la crise d’identité de l’éducation nationale, pilier de la République ascendante, simple charge de la République en faillite – la remise en cause de toute notion d’Autorité et la « relative » absurdité de toute « éducation » qui en découle… De là ce triste bilan de la situation actuelle.

Le désarroi actuel
 
La crise de l’éducation est un des phénomènes les plus inquiétants de notre situation sociale actuelle, car quand une société n’arrive pas à se reproduire, c’est qu’elle touche à sa fin. Et une des caractéristiques les plus fortes de l’époque présente, c’est que nous avons peur de nos propres enfants. Non point une peur physique, mais une peur morale, ce qui est bien plus grave sans doute.
 
La prise en main de l’éducation par l’État a créé un vide en fonction duquel le problème est bien qu’aujourd’hui parents et enseignants se renvoient à juste titre la balle. À la question des enseignants : « Comment voulez-vous former des jeunes qui n’ont pas la moindre éducation ? », répond celle des parents : « Comment voulez-vous que nous éduquions des jeunes si l’école n’embraye pas en leur imposant une structure ? » La question n’est pas de savoir lequel des deux camps a raison, ils ont bien raison tous les deux, contradictoirement, en même temps. Mais les parents ont encore la satisfaction de voir individuellement grandir leurs petits, alors que pour les enseignants, la logique est bien souvent celle d’un échec permanent. Non qu’ils échouent plus que les parents, mais que placés plus directement devant la non-structuration d’une classe d’âge, ils vivent avec le sentiment d’échec ! Nombreux sont les enseignants dès lors tentés par la seule alternative subsistante, simplement de « prendre du bon temps » avec les gamins. Que ceux-ci soient heureux de leur temps scolaire ! Quitte à parallèlement sauver la face en montrant qu’ils ont répondu aux objectifs administratifs ponctuels fixés par le ministère.
 
Manque de moyens ?
 
C’est le faux problème par excellence. La France est sans doute un des pays européens qui consacre le plus de moyens à l’enseignement, mais où sa crise est la plus profonde, et il vaut donc mieux parler d’un manque de résultats. Dans tous les métiers à résonnance humaine, dans tous les métiers où l’on ne manipule pas des dossiers, des boulons, des légumes… mais où l’on a directement affaire à des êtres humains, une énorme part de la rétribution – la rétribution de l’investissement particulier que ces métiers requièrent – se trouve dans le résultat humain. Ce sont toujours des boulots mal payés, eu égard à l’énergie mise en œuvre, à ce que j’appellerais pour faire vieux jeu le don de soi indispensable. Il est certain qu’une rémunération honorable aide, mais à mon sens elle se situe toujours en deuxième position par rapport à la question des conditions de travail. Je n’entends pas par là les locaux, les horaires, le nombre d’enfants par classe, ou autres critères quantifiables. Non l’aspect humain profond de la relation éducative. Et c’est là que se situe le véritable problème. Ce qui fait que la crise présente échappe totalement aux organisations syndicales.
 
Faute de pouvoir aborder le problème et plutôt que de se retrouver dans une situation de burnout, il ne restera à l’enseignant qu’à « s’absenter ». L’absentéisme est plus élevé dans l’Éducation nationale que partout ailleurs. C’est un des biais par lesquels sa crise est le plus sensible. Incapables de pourvoir aux innombrables remplacements, les Académies laissent les directions d’écoles et les mairies devant des situations ingérables : renvoyer les enfants à la maison, multiplier les garderies, ou entasser les élèves dans des classes surpeuplées au-delà de 30 élèves. En cas de non-remplacement d’un enseignant, on répartit les élèves dans trois autres classes qui se retrouvent ainsi en situation idyllique, soit au total quatre classes perturbées pour un absent non remplacé… Or un enseignant sur cinq est aujourd’hui en situation difficile, personnellement, par rapport à son métier !
Manque de place !
 
Il est tout à fait symptomatique que dans l’organisation sociale en France, l’enseignement ne trouve plus sa place. L’organisation annuelle (avec ses deux mois de vacances d’été) repose encore sur la nécessité de libérer les enfants pour aider à la moisson… Nous avons là un siècle de retard sur le calendrier social. Les vacances d’hiver sont elles coincées par l’impératif économique des stations de ski. Quant à la répartition des cours sur la semaine, elle ne répond, elle, plus à rien. La récente suppression des cours le samedi dans l’enseignement primaire aligne enfin son horaire sur celui de la semaine anglaise, adoptée partout, à l’exception du commerce bien sûr. Cette modification eût été l’occasion de déplacer la matinée du samedi au mercredi et de créer une continuité de la semaine. Cinq journées consécutives de sommeil et de lever matinal. En place de quoi, on a un horaire totalement incohérent. En outre, la preuve a été faite que l’enseignement général (lecture, mathématique) doit être donné le matin, la diversification assumée l’après-midi. Que dire d’une classe qui commence sa semaine par deux heures de natation le lundi matin et la termine par un après-midi de français et de mathématique le vendredi ? Cas extrême, mais d’application si courante…
 
Démobilisation
 
Tout cela contribue à la démobilisation du corps enseignant, principale victime après les enfants de cette situation absurde. Deux mouvements caractérisent son état actuel :
Individuellement, je l’ai dit, un absentéisme de plus en plus important.
Collectivement, et pour les plus motivés d’entre eux seulement, la revendication des enseignants se limite malheureusement à la protestation contre le manque de moyens, qui s’accroît encore par les restrictions de personnel en cours dans la fonction publique.
 
Cette revendication, les syndicats l’ont de manière absurde coincée dans le contexte suranné de grèves, qui brisent l’unité indispensable avec les parents et nuisent objectivement aux enfants. Les syndicats sont objectivement des organismes réactionnaires, opposés à toute réforme en profondeur. Ils appuient leur puissance sur la défense des « droits acquis ». Ici l’enseignant a le malheur d’être assimilé au fonctionnaire, dont l’image n’est à juste titre pas reluisante. L’enseignant a ainsi tendance à avoir tout le monde contre lui : l’État, les parents, le public… et dans ce combat ses propres organisations syndicales – en s’arcboutant aux droits acquis et au passéiste statut de fonctionnaire - s’avèrent elles aussi un dangereux ennemi !
 
Mais le pire bien sûr concerne nos enfants. Pour eux, il n’y a aujourd’hui qu’une seule solution : parents, mobilisez-vous, individuellement et collectivement, rassemblez les forces nécessaires et prenez vous-mêmes en charge l’éducation sûrement et l’enseignement, s’il le faut, de vos enfants, dans le cadre de collectivités locales. Faites vite, sans quoi la catastrophe est imminente… et faites-le en collaboration avec les enseignants, en dehors des syndicats, en dehors du cadre académique, car c’est dans ce retour à une prise en charge locale de l’enseignement et de l’éducation que se trouve leur seul avenir.
 
MALTAGLIATI
 
La série comporte trois articles :
1. Le mythe de l’éducation nationale.
2. De la société des pères à la société sans repères.
3. Quand l’enseignement ne va pas… plus rien ne va.

Lire l'article complet, et les commentaires