Produit de banlieue : le nouveau marché de la révolte

par gerlando
mardi 28 avril 2009

Ça va mal dans les banlieues. La ghettoïsation a provoqué un phénomène de repli identitaire complexe. Le sujet commence à être abordé, depuis les émeutes fracassantes de 2005. Partout où il existe des carcans sociaux, il y a un marché de niche à prendre, un segment marketing à investir. Quand les jeunes sont en colère, on peut leur vendre des t-shirts. Pour preuve, le fameux exemple de Che Guevara, hier révolutionnaire anti-capitaliste, aujourd’hui le t-shirt le plus vendu au monde.

Le Hip hop et sa longue tradition du merchandising
 
Le hip hop est un mouvement populaire dont les codes sont très intimement liés à la grande consommation. Dès l’origine, l’identité du rappeur se cristallise sur sa tenue et les marques qu’il arbore. En 1986, Run DMC lance un hymne à la basket, « My Adidas ». Les grandes marques sportives sont récupérées par la rue, détournées de leur fonction originelle pour servir de porte-étandard [1].
 
Dans les années 1990, les rappeurs se lancent dans une double activité. En plus de s’adoner à la musique, ils lancent leurs propres marques, transformant leur public en groupe de consommateurs. Dans les années 1990 en France, Com8, la marque lancée par JoeyStarr du groupe NTM, connaît des ventes phénoménales. Assassin, autre groupe fondateur du rap français, voit son nom se propager dans la rue à mesure que se vendent ses t-shirts floqués de la terrible catch-line « La justice nique sa mère, le dernier juge que j’ai vu avait plus de vice que le dealer de ma rue ».

La France est le plus grand marché européen du hip hop, second au niveau mondial, derrière les indétrônables Etats-unis. La marque de streetwear Bull Rot connait dans les années 2000 un impressionnant développement et s’impose comme le leader français du secteur. Mais depuis les années 2000, on peut faire le distinguo entre le merchandising rap et le segment marketing banlieue. Une nouvelle vague de vêtements, plus identitaires, plus violents et plus voyous ont vu le jour et se développent indépendamment du mouvement culturel hip hop.

La création de « produits » de banlieue

Ce tournant est bien illustré par le groupe « Truand 2 la galère », mené par les rappeurs Morsay et Zehef. Le groupe est loin des fondamentaux du hip hop « peace, unity, love and having fun », définis par Afrika Bambaataa et repris par NTM dans Tout n’est pas si facile [2]. Vulgaires et violents, les rappeurs de Truand 2 la galère sont néanmoins très intéressants à observer car ils centralisent toutes les caractéristiques du nouveau paradigme de l’extrémisme de banlieue. Un paradigme largement exploité par une myriade de nouvelles séries de T-shirt.

Cliquez ici pour voir le clip.

Les plus attentifs d’entre vous auront noté l’une des dédicaces du rappeur : « pour les mecs qui m’ont acheté mes t-shirts et mes CDs ». Morsay produit et vend des albums de rap et des vêtements. On peut voir tous les jeunes gens de la vidéo arborer le sweat-shirt « Truand 2 la Galère » devant des rayonnages de vêtements assimilés « banlieue ». Cette vidéo constitue le document idéal sur lequel s’appuyer afin d’énumérer les principales caractéristiques de ce nouveau marché…

Les départements : l’identité de la banlieue

Au deux tiers du clip (2 :22), Morsay énumère les départements représentatifs de la banlieue parisienne : la Seine-Saint-Denis (93), le Val de Marne (94), les Hauts de Seine (92), les Yvelines (78), l’Essone (91) et même l’Oise (60).
L’appartenance revendiquée à un département de la région parisienne est une caractéristique forte des produits estampillés « banlieue » en vente. Le site Ker and Cy Store commercialise toute une gamme de vêtements à l’effigie des différents départements. A chaque modèle, c’est la même illustration : le département est représenté sur une carte et entouré d’une cible de tir.

D’une manière générale, c’est l’appartenance à la banlieue qui est affirmée fièrement. L’un des T-shirts vendus sur la page du rappeur Kerry James du site « La boutique officielle » clame « Banlieusard et fier de l’être ».


(capture d’écran du site La boutique officielle)

Le Maghreb, l’autre appartenance

Autre appartenance revendiquée, le Maghreb. Le rappeur Rim’K, très connu pour faire partie du groupe 113, a lancé sa propre marque de vêtements nommée « Maghreb united ». Ses t-shirts sont floqués de slogans identitaires tels « Certified Hallal », ou « FN, famille nombreuse ». La marque détourne la flamme du parti d’extrême-droite pour y mêler les drapeaux du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Mais le rappeur n’est pas le seul sur ce créneau. De nombreuses boutiques, comme Rush Over, proposent l’union sacrée des trois pays du Maghreb. La boutique officielle propose des t-shirts de style révolutionnaire avec, au choix, le drapeau de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie et leur date d’indépendance. Dans son duo avec Dounia (Morsay, Dounia, Zehef, trois algériens qui gèrent), Truand 2 la galère nous donne à voir une illustration de ce phénomène : les rappeurs déclament leurs textes entourés de drapeaux du Maghreb.

Les symboles du voyou

L’une des plus célèbres marques du mouvement, « Produit de banlieue » cultive quant à elle le style « voyou ». Un peu à la manière des pancartes « attention chien méchant », leurs t-shirts ont pour slogan « Produit de banlieue, matière extrêmement dangereuse » ou encore « extrêmement inflammable ». Les mannequins du site, jambes écartés, la pose d’ex-taulard, sont les meilleurs arguments de vente de la marque. La société commercialise aussi des t-shirts représentant des armes en gros plan.

Dans la catégorie « voyous », les marques vont chercher des « rule models », des figures charismatiques particulièrement populaires chez les jeunes de banlieue. Le maître incontesté du t-shirt est Tony Montana. Suivent Al Capone et Mesrine. Certains t-shirts compilent ces figures de criminels dans des compositions dorées et stylisées.

 

Le marché du t-shirt estampillé banlieue est pour le moment l’apanage des « insiders » ; rappeurs ou petits entrepreneurs de la banlieue parisienne qui semblent créer leur produit sans calcul. Des produits qui leur ressemblent et qui ressemblent à leur public, à leurs consommateurs. Ce marché de niche est pour le moment très fragmenté. Certains producteurs de t-shirts n’ont pas de site d’e-commerce et proposent parfois des produits bien plus extrêmes dans leurs propos que ceux que nous venons de passer en revue ici (voir ici). L’avenir de ce mouvement reste à observer.

 

[1] A voir à ce sujet, le documentaire Sneakers le culte des baskets
[2] A ceux qui considèrent le hip hop dans son entièreté comme un mouvement d’analphabètes, des articles à lire : Universal Zulu Nation, Origines du hip hop.

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