Il y a toujours eu une religion du demain
Religion du demain tant pour les concrétudes « Je plante aujourd’hui, demain je récolte », que pour les abstractions « je suis gentil aujourd’hui, demain j’irai au paradis »
Le demain des concrétudes allait assez loin car on plantait des chênes pour les générations suivantes et on construisait des cathédrales pour 300 ans.
Mais jamais avant Jules Verne, personne n’avait fait des projections futuristes aussi concrètes et différentes du présent. Même Galilée, même Vinci n’avaient pas fait de projections futuristes.
Avant Verne, les Hommes avaient proposé des millions de délires sur les paradis et enfers mais ça c’est l’abstraction totale, définitive et même s’il y a parfois lassitude à les croire, nul ne peut affirmer que c’est tout bidon. Résultat, le futur des abstractions ne s’est pas écroulé en dépit de la chasse aux curés.
Avec Verne, c’est une révolution. Il pompe le style ’Je suis sérieux, très lucide, je vérifie tout, je ne dis pas n’importe quoi’ de A E Poe, mais pour nous raconter non pas la mort, les fantômes, les maladies, pour nous raconter note futur matériel, très, très matériel.
Et dans ce futur matériel, il n’y a ni oesophage, ni estomac, ni anus. Il y a bien une bouche mais elle ne sert qu’à parler.
Dumas père et Hugo en étaient encore à raconter des gens qui transpirent, qui ont faim, qui ont soif, qui ont mal, qui baisent, qui pillent et violent, à raconter les immondices, les goitres et les rats.
Verne ne dit plus rien de ça et nous voilà embarqués à croire en un paradis réel où plus rien ne pourrit en dehors de l’ennemi.
Après Verne on a donc vraiment vécu une course à l’aseptique : le spatial, la médecine, l’hygiénisme... le pain blanc, le papier blanc, OMO même avé les noeuds...On en a vu défiler des hommes en scaphandres qui isolent de mille radiations, ypérites, feux et pourritures. On en a vu des armures en titane, delron et kevlar.
Mais on a constaté que les bateaux avaient leurs titanics leurs marées noires et que les voitures avaient un anus qui nous rend malades.
Des millions de pubs, toutes vernistes, sur des millions de produits, jamais un anus.
Le choc que nous subissons, c’est le dépit de découvrir que quoi qu’on fasse, paradis très abstrait ou paradis très matérialiste doivent toujours s’entendre avec un nombril et un anus.
Annus 2000, anus inclus.
On peut, histoire de se fixer les idées ou de prendre repère, considérer par exemple la question du feu et de sa fumée.
Concernant les incendies, de Troie à Londres en passant par Rome et Alexandrie, pas glop, ça n’a jamais été très bien perçu. Encore que l’on aura assez vite considéré les cendres avec un regard de phénix. « Nous rebâtirons plus beau ».
Si les feux incontrôlables étaient plutôt angoissants, il en était tout autrement des feux maîtrisés qui exprimaient au contraire la réussite prométhéenne puisqu’ils servaient toujours à transformer quelque plomb en or, à se protéger du froid et à remplir un estomac vide.
Pour Platon, Saint Augustin, Cervantès, Rabelais, Daudet, Grimm, Perrault, Morris, il y a la fumée des feux contrôlés dans leurs livres. Elle signifie repère (retour au père sécurisant) Elle signifie présence humaine qui sauve de l’isolement. Elle signifie cassoulet roboratif ou sanglier bien rôti. Elle signifie communication et même développement économique, prospérité. Même Turner, même Monet semblaient d’accord pour positiver les fumées.
Jusqu’au fog de Londres et Jack l’éventreur (1888).
Avec ce fait de société (criminel jamais identifié donc terreur qui perdure), il apparaissait aux gens que la vie dans le monde industriel, produisait des fumées plus repaires que repères.
Les romans de Verne ne sont optimistes qu’avant Jack L’éventreur. Les livres qui nous ont enchantés sont d’avant 1888.
Ou, plus exactement
Il a écrit de 1863 à 1905 et 1888 se situe au centre de la Grande Dépression (1873-1896)
Or ses livres les plus optimistes ont été écrits entre 1863 et 1873. Ensuite, et plus encore après Jack l’éventreur, il n’a cessé de passer de plus en plus pessimiste. (Robur le conquérant étant devenu fou dans Maître du monde 1904)
Bien entendu, tous les directeurs de théâtre, les personnages qui font l’Histoire, les politiques et les grands industriels, vont naturellement faire valoir de Verne que ses ouvrages les plus optimistes. Disney va préférer ses premiers livres aux derniers.
Mais depuis, les fumées des chaumières des images d’Epinal sont devenues noires et toxiques uniquement des repaires
Tiens dans le film True Grit, la fumée joue une place importante.
Sinon, on ne peut pas parler de l’optimisme vernien (trié) des années 50 sans dire qu’il provenait des EU.
Aucun peuple au monde n’a autant vendu le vernisme (trié) que les EU, Curiosity included.
Alors pourquoi ?
Pourquoi cet optimisme débridé des Américains ?
Ceux qui y sont allés étaient fondamentalement les plus optimistes des Européens en toute fuite bien bue.
Mais ils ont eu sur le dos de leur courte histoire deux gros fardeaux. Celui de l’extermination des natifs et celui de l’exploitation directe des esclaves. Ca ne peut se justifier que pour faire mieux. Impossible de supporter cette culpabilité si ce n’est pas pour faire un paradis concret, qui saute aux yeux. Il faut mordicus prétendre que c’est mieux maintenant et surtout que ce sera encore mieux demain puisque l’aujourd’hui est bourré de casseroles.
Or ce double fardeau, ils l’ont payé extrêmement cher. La guerre de Sécession a été une très authentique guerre fraternelle conduisant à un suicide massif.
Double crime contre l’humanité, soldé par une guerre fratricide. Ca vaut bien une messe, une promesse de futur meilleur.
Alors ils sont piégés car à vouloir toujours prouver qu’ils ont fait le pire, Bombe comprise, pour rendre le monde meilleur, ils ne peuvent que continuer à faire de pire en pire.
Alors attention Luc-Laurent, la déception des Français résulte du constat en tant que tiers observateur de l’impuissance des EU à livrer le monde de Disney sans anus.
Or, il reste tout de même 2000 peuples dans le Monde qui ont échappé à l’influence de l’empire, qui n’ont jamais ouvert aucun livre, qui n’ont donc jamais été endoctrinés par un concept de paradis matériel, qui en restent à leur paradis abstraits et à leur quotidien rugueux et bourré de vermines. Ceux-là n’ont rien vu du cirque des transcendances sur 2000, ne savent même pas notre date et n’ont jamais envisagé de ne plus sentir la sueur.
Allez raconter votre écroulement d’espérances à un Himbas ou à un Saigonnais qui a pourtant subit le théâtre occidental, ils ne comprendront rien à votre dépit (qui est effectivement partagé par les Français les plus formatés par Disney)
Je ne sais ce que vous comptez écrire comme théorie, mais selon votre préambule, j’ai l’impression qu’il sera francocentriste. Non universel.
Tiens, un autre point à considérer.
Alors que l’Europe passait chrétienne, en dépit de protestations de Julien l’apostat, assez curieusement les pères de l’Eglise ont constamment traité la question des philosophes Grecs (certains des Grecs appréciaient fort le monothéisme des Juifs m’enfin leur région était restée païenne). Les chrétiens ont donc retourné les Platon et Aristote dans tous les sens et in fine, il en reste quoi ?
Toujours l’idée que les Grecs étaient très pertinents
Or, cette scolastique a constamment zappé un fait pourtant éclairant du principe théâtral que nous adorons :
le procès de Socrate.
Dès qu’on le considère en premier lieu, on voit que ces gens que nous admirons encore, qui seraient les pères de la religion démocratique, condamnaient en abusant de mots, en ne procédant que de rhétorique, non de véritable dialectique, de véritable raison.
Et ce qui est consternant c’est que même Socrate n’a pas pu contrer le bidonnage en le démontrant. Il en était venu à accepter le jugement forfaitaire, celui que Jeanne d’arc subira à son tour. Brûlée pour port de pantalon.
Notre refus de reconnaître le bidonnage du procès de Socrate nous autorise à continuer de nous comporter en menteurs et manipulateurs. Ce déni nous permet de nous accuser mutuellement d’accusations qui ne tiennent que sur des dogmes où la véritable raison n’a jamais sa place et où la croyance l’emporte toujours.
« Je le crois coupable, j’ai donc raison »
La raison est phagocytée par la croyance. Dès que la raison apparaît en toute sa nudité, anus compris, on se jette dessus pour la rhabiller et n’en plus retenir que ce qui nous débarrasse de l’anus. Dès que Newton dit la pesanteur, on en retient qu’il faut léviter, on fabrique des avions, ils chient, ils pètent, ils se crashent, on l’ignore, on persiste.
Le malum in se ne nous intéresse pas. Nous ne pratiquons que le malum prohibitum et la prohibition est celle que chacun a envie d’imposer aux autres, en toute théâtralité. Chacun veut imposer aux autres ses fantasmes afin de rendre valide, crédible, ce qui lui sert de protection contre son angoisse due à la perspective de sa putréfaction.
Votre illustration, celles de Verne, représentent non le futur en tant que tel mais une solution à la putréfaction.
La première idée qui nous vient en tête quand nous voyons ce risque peser sur nous consiste à le renvoyer vers d’autres donc de putréfier quelque autre au plus vite.
De nos jours, les jeux vidéo où l’on putréfie l’autre, un Romain ou un Alien, ont remplacé les BD des années 50.
La seule solution pour ne pas subir la mort c’est de l’occuper avec un autre.
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