Quand je disais qu’on avait voté la décapitation, l’incarcération, la guerre, le PLU, le COS, je voulais dire que les élus avaient voté en petit comité (pas le peuple). Et cela suffit, l’oligarchie fait l’affaire (pourvu que chacun ait la même chance que tout le monde, 10 000, de faire partie de l’élite, de devenir très actif et apollonien)
L’oligarchie (tournante, tout de même) suffit pour trancher mille questions qui ne peuvent être tranchées que dans le tas telle la décision de l’endroit où placer une décharge d’ordures.
Mais comme le peuple a besoin de croire qu’il y est pour quelque chose, et pour ne pas laisser les oligarches en place trop longtemps, on organise des élections tous les 5 ou dix ans. Ca permet par une élection très transparente de choisir une personnalité. Cette personnalité se démarquant des concurrents (pas trop nombreux sinon il y a dilution qui fait perdre le sel) par quelque grande orientation sociale. Rien de plus.
Une fois cette personnalité élue, on la laisse organiser des petits votes entre dix ou cent, au sommet, ils se démerdent, le peuple s’en fout et ne se détend qu’à râler.
En plus des élections principales, on peut donner au peuple l’occasion de renforcer son impression d’être considéré de manière individuelle en l’invitant à des votations ou référendum sur des questions très précises à réponse en oui/non, jamais autre chose.
Les élus déjà aux commandes étaient indéterminés entre eux sur ce sujet, ils ne savaient quoi en penser et ont trouvé intéressant de refiler la patate chaude au peuple en le faisant choisir entre oui et non.
Mais à part les grandes élections de personnalité présidentielle et les quelques votations référendaires, les gens n’ont pas besoin de plus, il leur suffit qu’une oligarchie décide entre elle (votes plus ou moins formels en petits comités).
Les gens ont voté pour une personnalité qui va décider seule pendant quelques années, ils votent aussi sur quelques questions en oui/non, ça leur suffit pour se sentir considérés et respectés, leur honneur est sauf, ils sont contents. Dans l’intervale, ils braillent, ils protestent de fait du prince, ce qui leur donne encore plus l’impression d’avoir le droit de parler, ça leur suffit amplement. C’est un modus vivendi. Une comédie consentie parce que chacun sait qu’on ne peut pas faire mieux que ça.
Sisyphe est réputé être malheureux.
Mais observez bien qu’on lui accorde d’être malheureux alors que personne ne lui a posé la question.
Figurez-vous que Sisyphe est peut-être heureux.
Des milliards de gens font jour après jours quelque chose qui ressemble beaucoup à ce que fait Sisyphe.
Si l’on regarde le fait que le rocher retombe, on dit que c’est un échec mais si l’on considère qu’au total Sisyphe mange bien, conserve une bonne santé, boit bien, baise bien, qu’il voit chaque jour son rocher à remonter et qu’en fin de journée il a droit à un câlin avec sa belle, où est son malheur ?
Lorsque Sisyphe pousse son rocher, il sue, il pète, il râle, il proteste. Mais le soir venu, il se tape un bon repas, il roucoule avec sa douce puis il dort du sommeil du juste en étant tranquille que demain, le rocher sera en bas qui l’attendra pour lui offrir une journée comparable qui finira tout aussi bien. Où est son malheur ? Qui ne voudrait pas d’une telle tranquillité ?
Tel est le cas des Français, des Européens.
Il ne faut pas se fier aux râles des gens. C’est le moyen qu’ils ont de compléter leur dignité de citoyen.
Vous connaissez cette comédie « Retiens-moi ou je fais un malheur ! » C’est cela que nous faisons tous les jours. Nous faisons les coqs, nous nous juchons sur nos pattes, nous bombons le torses en « Non mais ça ne se passera pas comme ça ! » et ensuite nous faisons notre sieste. Là où nous sommes baisés c’est quand des malins nous prennent au mot et nous poussent à aller plus loin que nous ne l’aurions voulu.
C’est ce jeu que pratique le camarade qui nous secoue en nous disant « Non mais t’as vu comment il a osé te parler, l’autre ? » ou « Non mais t’as vu ces arabes ? Bientôt ils chieront sur ta bagnole ! » ou encore « Moi à ta place, je lui pèterais la gueule ! »
Farce.
Vous avez une famille ; 5 personnes c’est rien à gouverner, rien du tout. Vous pourriez proposer de voter pour toutes les décisions. Proposer une votation toutes les heures minutes. A la troisième fois les vôtres vous diront « stop stop stop stop, décide donc toi-même, on te fait confiance ». Ensuite ils vont râler, ils vont protester du choix de voiture que vous avez fait, ils protesteront du repas que vous avez préparé mais au fond ils ne demanderont rien d’autre que ça continue comme ça.
Là où ça va mal c’est quand les gens sentent que le chef qu’ils ont élu est dépassé. Là ils paniquent vraiment. Là ils ressentent une véritable angoisse.
Et depuis 30 ans chacun sent que quel que soit le chef, il est dépassé par des forces externes ou mondiales. Là les gens ont vraiment envie de changer vite de chef, tous les 2 mois. Mais ça ne sert évidemment à rien.
Ce que les chefs ne parviennent plus à fournir alors que pendant des millénaires ça ne leur incombait pas, c’est le boulot, le rocher à pousser tous les matins.
Ils ont eu tort les premiers chefs qui ont accepté la responsabilité de fournir du travail (vers 1880). Ils ont mis le doigt dans un piège et se sont retrouvés obligés, pour alimenter artificiellement la masse de travail alors que la machine remplaçait la main d’oeuvre, d’emprunter, d’emprunter, d’emprunter ; alors qu’on ne fait pas de grosse guerre (autrefois les rois s’endettaient mais c’était uniquement pour faire la guerre)
Changez les chefs aussi vite que vous le voulez, choisissez les plus probes, ça ne changera pas la problématique du chômage et nous deviendrons de plus en plus malheureux de n’avoir pas le sort de Sisyphe.
Jusqu’au jour où nous serons devenus nous-même des machines, où nous serons devenus des ordinateurs, où nous serons le WWW lui-même. Mais c’est là un autre sujet. Bonne nuit et merci pour le papotage.