JEANNE LA PAPESSE
De tous les faits transmis par l’histoire de l’Église, il en est peu qui ont frappé l’imagination publique et occupé les controverses comme la question de savoir si, au IXème siècle, une femme avait occupé le trône pontifical sous le nom de Jean VIII.
Il est naturel que l’esprit clérical, qui s’est affirmé dans la haine et le mépris de la Femme à travers les siècles, soit arrivé à nier le fait comme une honte pour l’institution même de la papauté. Mais il est certain que les historiens du temps et des siècles rapprochés de cette époque l’ont affirmé de façon qui ne permet pas d’en douter.
Il est bien certain qu’une légende se forma autour de ce fait aussitôt qu’il fut connu. Voici le fond de l’histoire, dégagée de ce qui y fut ajouté par l’imagination des hommes :
Cette femme extraordinaire était née à Fulda (Hesse), d’une excellente et riche famille, et se nommait Jutta. Restée orpheline fort jeune et placée par ses tuteurs dans un couvent, son éducation y fut très soignée, car, dès son enfance, elle parlait couramment plusieurs langues étrangères. Elle venait d’atteindre sa seizième année, quand le confesseur du couvent, un jeune moine d’origine anglaise, devint follement amoureux d’elle. Il ne tarda pas à voir sa passion partagée et à en recevoir les preuves les plus positives.
Comme, à cette époque, il ne fallait pas plaisanter avec les vœux monastiques, les amants n’avaient d’autre ressource que la fuite ; pour plus de sécurité, Jutta endossa les habits masculins.
Grande et mince, un peu osseuse, point jolie, mais des traits accentués et énergiques, avec plus d’intelligence que de charme, elle n’éveilla, sous son nouveau costume, aucun soupçon. Les amants arrivèrent sans encombre à Athènes, se faisant passer pour deux frères venus d’Angleterre afin d’étudier en cette ville, et c’est ainsi que la jeune fille ne fut plus connue que sous le nom de Jean l’Anglais.
Ils vécurent heureux et tranquilles pendant plusieurs années sans que leur secret fût connu. Jutta, douée des plus hautes facultés intellectuelles, étudiait passionnément la philosophie, l’histoire, les lettres. Un événement imprévu, en brisant son cœur, décida de sa destinée : son amant mourut.
Folle de désespoir, et résolue à rester fidèle à sa mémoire, elle se jeta dans l’étude de la théologie, se fit ordonner prêtre et quitta Athènes pour aller se fixer à Rome, où son vaste savoir attira bientôt l’attention, et, toujours sous le nom de Jean l’Anglais, elle devint prêtre de paroisse.
Elle vécut ainsi pendant quelques années dans la pratique de toutes les vertus. Les talents, l’éloquence du prêtre Jean prirent une renommée telle que, à la mort de Léon IV, tous les suffrages se portèrent spontanément sur ce saint personnage comme seul digne de remplacer le pape défunt.
Les attributions de la papauté n’étaient pas encore alors ce qu’elles sont devenues depuis, puisque, même deux siècles plus tard, dans un synode tenu en 1076, Grégoire VIII, qui fut cependant un des plus remarquables pontifes romains, n’occupait encore que les fonctions d’évêque de Rome.
Dans les premiers siècles de l’Église, les évêques étaient nommés par l’acclamation du peuple assemblé. On choisissait ordinairement le pasteur de l’église la plus importante ou le plus renommé pour ses talents ou ses vertus. Cette élection faite par le suffrage des fidèles était confirmée par le clergé et les autres évêques de la province, qui imposaient les mains au nouvel élu ; toute la cérémonie de l’investiture se résumait en cette simple formalité.
Comment mourut-elle ? C’est ce que l’histoire a cherché à nous cacher ; mais nous considérons comme vraisemblable que c’est pendant la conspiration dirigée contre elle par la faction de Formose, qu’elle fut attaquée et mourut d’un coup de marteau sur la tête. C’est après sa mort qu’on constata son sexe, et alors le grand étonnement qui résulta de cette découverte exalta l’imagination des hommes, qui lui créèrent immédiatement des légendes.
Il est dans la nature de l’homme d’attaquer bassement toute femme qui s’élève et se distingue ; on attaqua celle-là après sa mort, son sexe n’ayant pas été découvert avant, et voici la légende ridicule que l’on plaça à la fin de sa vie :
Un jour, pendant une procession, non loin du Colisée, on vit le Saint Pontife donner des signes non équivoques de malaise et bientôt se tordre dans un accès de violente souffrance ; le Saint-Sacrement échappa de ses mains défaillantes, et le Pontife expira en mettant au monde un enfant du sexe féminin.
Malheureusement pour ces chroniqueurs fantaisistes, le Saint-Sacrement ne fut inventé que beaucoup plus tard, en 1264 (à peu près), par le pape Urbain IV.
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