Au moment d’envoyer celui-ci, je vois un autre message de vous. Je ne l’ai pas encore lu et c’est donc au précédent que je réponds ici. Ma réponse au suivant viendra un peu plus tard.
@Najat
Vous continuez à me citer des versets
du Coran, mais je trouve quand même que, du point de vue de l’Islam,
vous mériteriez de ne jamais fréquenter les jardins fleuris où
coulent bien des ruisseaux, parce qu’enfin, je ne vois pas qu’il
puisse y avoir dans l’Islam – et pas plus que dans les autres
religions – le moindre espace pour une liberté. Si c’est Allah qui
décide de tout, c’est lui qui a voulu que certains soient musulmans
de naissance et d’autres tout à fait infidèles et promis aux pires
supplices, ce qui ne procède tout de même pas d’un grand souci de
justice ! La seule liberté qui leur reste, c’est d’avoir
suffisamment la trouille, une fois avertis de ce qui les attend, pour
se convertir à la religion d’Allah. Je dis bien : la trouille.
L’islam est soumission, et tous les hommes naissent en principe
soumis à Dieu, mais pas moi : dès que j’ai pu commencer à penser,
la pensée s’est confondue pour moi – et pour bien d’autres ! -,
que vous le vouliez ou non, avec l’insoumission et l’autonomie du
jugement. Et c’est par là qu’on voit à quel point les monothéismes
sont désormais condamnés à mort : ils ne peuvent perdurer que
parmi des populations crédules qui marchent au bâton et à la
carotte : si tu fais ce qu’on te demande, à toi les jardins bien
arrosés, sinon il t’en cuira éternellement. Ton intérêt est donc
de croire et de filer doux. Mais à partir du moment où s’affine une
réflexion sur la philosophie et la morale, les choses commencent à
devenir plus problématiques. La question de l’intérêt, en
particulier, fait problème. Si je vous parlais du soufisme, c’est
parce qu’il répond -du moins, me semble-t-il – à un
questionnement à peu près comparable à celui des grands mystiques
chrétiens du XVIe : la religion de Thérèse d’Avila, celle de Saint-Jean
de la Croix, par exemple, en prise avec une morale aristocratique qui
s’est considérablement affinée, s’efforce de transcender cette
question tout à fait basse et vulgaire de l’intérêt que les
protestants aussi ont essayé de contourner avec la notion
augustinienne de prédestination. Ce qui est très surprenant par
exemple dans l’argument du pari pascalien un siècle plus tard, c’est
la distance qui sépare le pauvre Blaise de la morale d’un La
Rochefoucauld pourtant son contemporain : d’un seul coup, on en
revient à des préoccupations de boutiquier : vous avez intérêt à
parier que Dieu est. Sans doute, mais la morale du libertin n’a que
faire de l’intérêt à long terme et de l’investissement qu’il
présuppose. D’un côté, donc, une morale aristocratique qui voit la
générosité dans la dépense ; de l’autre côté, une morale de
notaire bourgeois, celle de Pascal, préoccupée d’économie et de
rendement des placements religieux.
Le Dieu des monothéismes,
et particulièrement celui de l’ancien testament, pour quiconque
raisonne, est un monstre abominable. Il n’est pas encore le Deus
absconditus incompréhensible et caché de la théologie
augustinienne : il est encore humain et très humain, il parle, s’agite et se
met en colère ; bref, se comporte avec la bestialité des hommes de
son temps. On le voit très bien avec cette histoire tout à fait
irrécupérable du sacrifice d’Abraham. Elle est irrécupérable, et
pourtant elle est récupérée dans toutes les religions du Livre.
Elle est irrécupérable par ce que le bonhomme tout-puissant qui
commande à ce pauvre bougre d’égorger son fils se comporte comme un
tyran sanguinaire qui veut régner par la trouille et y réussit très
bien. Abraham a tellement peur des conséquences ou bien est
tellement bluffé par son « amour » de Dieu (cela revient
au même) qu’il n’hésite pas à lever le couteau. Vous trouverez
évidemment des crétins qui essaieront de récupérer
l’irrécupérable. J’ai entendu la prédication d’un pasteur
protestant, il y a quelques années, qui essayait de justifier ça.
Des psychanalystes diront par des raisonnement tout à fait biscornus
et spécieux que cela marque symboliquement la fin de la notion de
sacrifice, puisque le sacrifice n’a pas lieu, etc. Ils refusent de
voir ce qu’il y a de proprement monstrueux et de tétanisant pour
l’esprit (ils sont eux-mêmes encore tétanisés) par cette histoire
horrible qui est la mère de tous les fanatismes.
Vous pouvez bien imaginer que si Dieu
m’apparaissait pour me commander d’aller égorger non pas un proche
que je connaîtrais à défaut d’un fils que je n’ai pas, mais Najat
Jellab que je n’ai même jamais vue, qui de surcroît est musulmane,
de l’autre côté de l’Atlantique, je lui dirais immédiatement
d’aller se faire f... ! Et je suis aussi bien persuadé que, même
si vous vous réclamez de la soumission islamique, vous ne vous
comporteriez pas autrement si c’était à vous qu’Allah s’adressait.
C’est ce qui nous distingue radicalement des fanatiques d’Al Qaida
et des Tariq Ramadan. Avant les prescriptions des religions antiques,
nous faisons passer une morale construite par la pensée
philosophique, laquelle est quand même un peu plus subtile que celle
de la Bible ou du Coran. La conclusion que j’en tire, c’est que notre
rapport à la religion est purement folklorique. Etant né dans le
Berry, la province de France la plus archaïque, celle des sorciers,
cela me fait toujours quelque chose d’entendre des joueurs de vièle
avec leurs gros sabots. Et de même, ayant passé des heures dans les
églises à subir des leçons de catéchisme, j’aime infiniment le
silence et la lumière des édifices religieux, je ne me sens pas
étranger aux préoccupations des grands mystiques, à l’histoire de
l’Eglise et des conciles, aux conflits entre les religions ; j’ai
passé ma vie à écouter la musique de Bach qui est extrêmement
marquée par la mystique chrétienne, mais cela n’intervient
absolument pas dans ma compréhension de la réalité des choses. Je
comprends très bien, lorsqu’un athée made in christianisme accuse
assez radicalement l’islam, que vous teniez à le défendre, mais je
ne pense pas qu’il soit plus défendable que les autres monothéismes.
Je vais même finir cette page par une prophétie : il y a des
agonies lentes, comme celle du christianisme, et d’autres difficiles,
comme celle de l’islam. L’agonisant se redresse et se met à
hurler en s’agitant ; et puis, d’un seul coup, ils s’aplatit et tombe
dans la rigidité cadavérique. Le XXIe siècle sera peut-être
religieux, comme l’avait prédit Malraux, mais je puis vous assurer
avec une tranquille certitude que le XXIIe sera complètement
débarrassé du monothéisme.
PS- Je tape très vite, j’y vois mal ; par paresse, je ne me relis qu’une seule fois et c’est insuffisant pour éliminer toute les fautes. Je vous prie de m’en excuser.