Depuis bien des années maintenant,
l’association ADMD répand impunément dans le public sa sinistre
propagande pour le droit à « mourir dans la dignité ». Pour qui ne
dispose pas d’un minimum de culture philosophique, cet objectif peut
paraître séduisant mais il est aisé de mettre au jour ce que dissimule
une pareille idéologie.
Il y a une dizaine d’années, j’avais pu constater que mes élèves
pourtant déjà bacheliers mais sensibles à la propagande médiatique,
étaient majoritairement persuadés que les hôpitaux étaient remplis de
tétraplégiques aphasiques désirant la mort et très empêchés de
l’obtenir. Ces gens-là, il fallait bien évidemment les tuer de toute
urgence. Un jeune m’avait même dit : « M’sieur, les chiens, quand il
sont vieux, on les pique, ça vaut quand même mieux que de les laisser
souffrir ! ». C’est ce que voudraient aussi la plupart de ceux qui,
souvent en parfaite santé, réclament à cor et à cri une légalisation de
l’euthanasie. Qu’on puisse donc enfin piquer comme des chiens les vieux
qui en sont au dernier acte ! J’avoue que je ne vois pas très bien où
serait l’exigence de « dignité » dans cette manière d’aligner le destin
des hommes sur celui des chiens, mais passons.
Ce que les fanatiques de l’euthanasie sont incapables de comprendre,
semble-t-il, c’est qu’il ne suffit pas de « vouloir » mourir, les
choses sont loin d’être aussi simples. On s’abstiendra évidemment de
porter un jugement sur quiconque a décidé de mettre fin à ses jours
librement : il SE tue, c’est son affaire. Mais peut-il demander à UN
AUTRE de le tuer ? N’y a-t-il pas dans une pareille demande quelque
chose d’exorbitant et qui met en jeu, lors même qu’on à renoncé à la vie
et à la liberté qui va avec, lors même qu’on a déjà consenti à
l’absolue passivité du cadavre, la liberté de l’autre, celui qui va vous
achever ? Parmi les partisans de l’euthanasie, il y en aurait
probablement très peu, du moins je l’espère, qui accepteraient de céder à
une pareille demande. Ils auraient absolument raison. Pourquoi ?
Parce que rien n’est plus banal, dans un moment de désespoir ou de
dépression, que de se dire qu’on préfèrerait être mort. Lorsqu’on entend
de pareils propos, on se garde en général de les prendre au sérieux, on
se dit que le sujet est en proie à une souffrance et que c’est à cela
qu’il faut d’urgence trouver un remède. Quand le suicidaire entreprend
d’enjamber le garde-fou du Pont Neuf pour se jeter à l’eau, l’intention
d’en finir paraît tout à fait évidente et néanmoins on essaie d’arrêter,
manu militari s’il le faut, le geste irrémédiable. Dans bien des cas,
le désespéré ne recommencera pas. On me dira que l’individu qui agit
ainsi n’est pas grabataire, qu’il est même souvent en parfaite santé,
que sa situation est sans comparaison possible avec celle de
l’agonisant. Eh bien, parlons un peu de l’agonisant.
Dans le cadre actuel de la loi Léonetti, le mourant a le droit, si
j’ose dire, de prendre son temps, et la norme est même d’attendre que le
processus suive son cours, en utilisant tous les moyens dont on dispose
- et ils sont efficaces-, pour faire en sorte que les choses restent
supportables physiquement et psychiquement. Personne n’est actuellement
fondé à représenter au mourant qu’il y aurait une autre solution plus
rapide, réputée moins douloureuse et assurément plus économique pour
l’institution hospitalière. Mais si une loi stipulait que c’est un droit
de se faire « piquer » comme un vieux chien, il deviendrait tout à fait
normal dans ces conditions, et même tout à fait indispensable,
d’informer le mourant de tous ses droits, y compris celui d’être achevé.
Tout plaiderait évidemment en faveur du droit à disparaître « dans la
dignité » : le mourant occupe bien inutilement un lit d’hôpital ; son
agonie, si elle se prolonge au delà du souhaitable, va peser lourdement
sur le vécu quotidien de son entourage, et de toute façon, au point où
vous en êtes, chère Madame ou cher Monsieur, les carottes sont cuites,
etc. Bref, la « liberté » de la décision, dans un tel contexte, paraît
fort relative, et qui voudrait continuer à vivre ne le ferait que pour
compliquer l’existence de tout le monde, il y aurait de sa part beaucoup
de mauvaise volonté et même, disons-le, une certaine lâcheté.