Le cri de désespoir d’un artiste de rue à Florence ?

par Paul Villach
lundi 26 décembre 2011

Que restera-t-il dans cent ans de l’art appelé aujourd’hui contemporain ? Qu'adviendra-t-il de toutes ces croûtes et de ces bric-à-brac qui encombrent aujourd’hui les musées dits d’art moderne ? On se posait la question cet été de Vienne à Rome en passant par Venise et Florence.

De l’ironie à l’indignation

L’heure n’est plus à l’ironie quand on voit le Kunsthistorisches Museum de Vienne bousculer ces collections ou les masquer pour exhiber les barbouillages d’un Jan Fabre (1). Elle ne l’est pas davantage à Venise où l’Église d’Andrea Palladio, San Giorgio, offre sa nef aux tuyauteries d’un Anish Kapoor (2), et où le milliardaire Pinault expose devant le Palazzo Grassi sur le Canal Grande ses charognes en ferraille et, à la pointe de la Dogana, devant un des plus beaux panoramas urbains du monde, ce grand baigneur blanc circoncis brandissant un crapaud par la patte, sous l’œil d’un vigile affectés à sa sauvegarde.

Car c’est l’indignation que redoutent ces barbares de la part du public qu’ils ne parviennent pas à circonvenir par les leurres de l’argument d’autorité et de la pression du groupe . Il ne suffit plus de hausser les épaules et de se dire que l’artiste que retient la postérité, est rarement celui qui a joui en son temps des faveurs des pouvoirs, comme le montre le cas de Van Gogh  : qui voulait, en effet, de ses toiles quand il avait tant besoin de les vendre pour vivre ? Il n’en aurait vendu qu’une durant sa vie. Or, aujourd’hui, la moindre d’entre elles mise aux enchères vaut une fortune !

L’inculture des élites d’aujourd’hui ?

Il fut un temps pourtant où les artistes officiels, appelés à leurs côtés par les pouvoirs civils ou religieux pour magnifier leur majesté, rivalisaient d’excellence. Ils avaient beau être aux services de leurs mécènes, leur art ne paraissait pas souffrir de cette proximité corruptrice.

Qui contesterait Michel-Ange, le sculpteur de « Moïse », le peintre de « La Chapelle Sixtine » et l’architecte de la coupole de Saint Pierre de Rome ou de la place du Capitole ? Le Tintoret est-il moins performant quand il peint « Le Paradis » dans la Salle du Grand Conseil au Palais des Doges à Venise ? Et les toiles du Titien, de Véronèse et de tant d’autres, qui ont servi les grandes familles vénitiennes et les corps ecclésiastiques, ne sont-elles plus toujours aussi géniales quatre siècles après ? Et Gian Lorenzo Bernini, qu’il sculpte « Apollon et Daphné » (4), qu’il compose une fontaine comme « Les Quatres fleuves », place Navona à Rome, ou édifie une église comme Saint-André-au-Quirinal, n’a-t-il laissé après lui que des oeuvres sans intérêt ?

D’où vient qu’aujourd’hui les artistes prisés par le marché ou choyés par les pouvoirs, genre Buren avec ses colonnes pour zèbres qui défigurent une cour du Palais Royal à Paris, ne peuvent être comparés à leurs prétendus pairs des siècles passés ? Serait-ce l’inculture des élites politiques d’aujourd’hui en regard du goût raffiné des aristocraties d’autrefois ? Un marchand milliardaire n’aurait-il d’yeux que pour ce qui se vend, et resterait-il indifférent à tout ce qui saisit, charme et nourrit l’esprit ?

Le cri de désespoir d’un artiste de rue ?

Au hasard d’une promenade dans les rues de Florence en août, on se posait ces questions à la vue d’un artiste accroupi peignant à la craie à même les dalles grises de poussière (voir photo ci-contre). Qu’avait-il choisi d’offrir aux passants pour les enchanter ? Non pas un Picasso dont pas moins de sept musées se disputent les produits, mais un Vermeer et un Leonardo da Vinci.

Impossible de ne pas les reconnaître ! Ici « La jeune fille à la perle » dont luit la boucle au lobe de l’oreille quand elle tourne la tête, là, « Mona Lisa » que l’artiste achevait de faire sourire. Tandis que des ponts d’or sont offerts à des barbouilleurs de croûte, voici qu’un artiste de rue couchait sur les dalles sales de la rue deux symboles les plus achevés de la peinture européenne. N’était-ce pas un cri de désespoir qui montait des dalles elles mêmes pour prendre les passants à témoins ? Voyez, croyait on entendre, où en est réduit un peintre d’aujourd’hui rompu aux techniques de la peinture des plus grands maîtres européens quand les Jan Fabre, Anish Kapoor et autres protégés des marchands à la Pinault peuplent désormais les musées ? Paul Villach 

(1) Paul Villach, « Les barbares dans la cité (I) – Jan Fabre au Kuntshistorischesmuseum à Vienne  », AgoraVox, 9 août 2011

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-barbares-dans-la-cite-i-jan-98748

(2) Paul Villach, « Les barbares dans la cité (II) - « Ascension » d’Anish Kapoor, sous la coupole de San Giorgio à Venise  », AgoraVox, 10 août 2011

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-barbares-dans-la-cite-ii-98805

(3) Paul Villach, « Les barbares dans la cité (III) – Les produits d’appel du milliardaire Pinault, marchand de Venise.  », AgoraVox, 11 août 2011

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-barbares-dans-la-cite-iii-les-98860

(4) Paul Villach,

« L’art abstrait et l’affliction collective des Nord-Coréens  », AgoraVox, 22 décembre 2011.

« À Rome, « Apollon et Daphné », une œuvre du Bernin à couper le souffle », AgoraVox, 13 septembre 2010.

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/a-rome-apollon-et-daphne-une-81158

 


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