@Bernard Mitjavile
Je me souviens encore des manuels d’histoire, quand j’étais jeune, qui n’hésitaient pas à intituler un chapitre : Les causes de la révolution ou de telle ou telle guerre. C’était évidemment un peu simpliste : le monde est un système complexe dont on ne peut pas si facilement décoder le déterminisme, et des événements insignifiants, purs produits du hasard, peuvent avoir plus de conséquences que les plans politiques les plus concertés. Mais les très jeunes ou les naïfs, les conspirationnistes qui hantent AgoraVox, par exemple, ne peuvent pas imaginer que tout ce qui survient ne résulte pas d’une intention — perverse le plus souvent ! Pourtant, « Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face du monde en eût été changée », faisait déjà observer Pascal.
A l’époque de Jésus, les faiseurs de miracles capables de ressusciter les morts (Apollonius de Tyane, par exemple), et les faux messies, pullulaient. Une espèce de mayonnaise a pris autour de l’histoire de Jésus et les historiens pourraient sans doute mieux que moi expliquer cet engouement. Si Constantin, plus tard, au pont Milvius, n’avait pas cru voir (petit malaise perceptif dû à la chaleur ?) un signe dans le ciel, et promis de se convertir au christianisme, ce qu’il ne manqua pas de faire dans ses dernières heures après avoir joyeusement massacré ses proches, le christianisme serait-il jamais devenu la religion de l’Empire sous l’abominable Théodose ?
Le christianisme aura tenu deux mille ans parce qu’il était soutenu par les états et leurs armées. Le glaive et le goupillon ont très longtemps fait bon ménage mais il est en train de s’effondrer parce qu’il n’y a pas de différence entre les articles de croyance qu’il continue de proposer à défaut de pouvoir encore les imposer, et ceux des religions païennes. Le thème de la virginité de Marie fait honte depuis belle lurette à pas mal de théologiens catholiques. Ceux qui vont encore à la messe ne sont pas plus certains de la divinité de Jésus que les hérétiques de l’arianisme. Demandez à un catholique s’il croit que l’hostie de l’eucharistie est vraiment le corps du Christ offert à la manducation, il se moquera de vous : mais non ! vous nous prenez donc vraiment pour des ânes ! ce n’est là qu’un symbole. En ignorant radicalement le dogme de la transsubstantiation, ils rejoignent spontanément et sans même le savoir les hérétiques protestants qui reprochaient aux catholiques, à une époque où l’on était révulsé par le cannibalisme des « sauvages » d’Amérique, de « manger et de chier » leur Dieu. Quelle image les chrétiens peuvent-ils encore se faire de l’autre monde ? Y croient-ils seulement ? L’enfer a disparu des prêches des curés. Chacun sait bien, après les travaux de Jacques Le Goff, que le purgatoire est une fabrication du XIe siècle. Quant au Paradis, comment se le représenter ? Rout le monde a dévoré l’Enfer de Dante, mais très peu auront eu le courage de s’aventurer beaucoup plus loin : le purgatoie, ça ennuie, et la troisième partie de la Divine comédie, le Paradis, si on n’est pas familiarisé avec les concepts de la théologie de l’époque, on s’y emmerde terriblement.
N’allez surtout pas me prendre pour un bouffe-curé ! Toute notre culture esthétique a été marquée par le christianisme, et sa disparition ne m’empêchera pas d’écouter toujours les Passions et les Cantates de Bach, de faire le tour des églises de Paris. Ca m’a vraiment fendu le coeur de voir Notre-Dame sous les flammes. Dans son Contre sainte-Beuve, Marcel Proust dit à peu près que lorsque personne ne croira plus à la révélation chrétienne, il faudra quand même continuer à dire des messes, pour la beauté de la chose. C’est aussi ce que je souhaiterais, pourvu qu’on en revînt au rite... de Pie V. Mais n’allez pas, pour autant, me prendre pour un intégriste de Saint-Nicolas du Chardonnet !